Quand la charité confine à la provocation: gravure à l’eau forte de Louis Jou

Au tournant du XXe siècle, à La Belle Époque (mais pas pour tous), de même qu’il y a une littérature «sociale» qui dénonce la précarité d’une partie de la population de cette France industrialisée (Victor Hugo, Léon Bloy, Valère Bernard, Henri Barbusse…), il existe à côté de la peinture sociale et réaliste[1] qui prend comme modèle des éprouvés (mendiants, vagabonds) voire réprouvés, car il existe encore aux yeux d’une partie de la population des «bons pauvres» aux côtés «des mauvais pauvres»[2] des dénonciations plus vigoureuses dûs à des artistes souvent caricaturistes. 

C’est le cas d’un artiste d’origine espagnole Luis Felipe-Vicente Jou y Senabre connu sous le nom de Louis Jou (1881-1968) né à Barcelone venu en France en 1906. Il survit assez misérablement grâce aux dessins qu’il vend aux principaux journaux illustrés satyriques : l’Assiette au Beurre, au Rire, à Panurge. Il sera imprimeur et créateur à Paris et acquière une maison aux Baux de Provence en 1921. «Il y grave, y restaure l’Hôtel Jean de Brion, en ruines et fait des travaux dans le bâtiment qu’il destine à son nouvel atelier; son disciple et ami, Pierre Seghers, lui apportera ses presses et ses caractères en 1944.»[3]

            Cette planche de 19,5cm x 15cm est révélatrice de l’oeil acéré et réaliste de l’artiste sur cette charité « minimaliste » d’une « digne duègne » bien peu avenante donnant parcimonieusement une aumône non pas en numéraire mais matérielle (un «bonbon» ?) à ces estropiés et éprouvés…

Olivier Vernier


[1] Christiane Noireau (dir.), Petites gens, grande misère, Paris, Somogy, 2004, 127 p.

[2] Antony Kitts, « Bons » ou « mauvais » pauvres ? Du mendiant vagabond au pauvre secouru en Normandie orientale au XIXe siècle (1786-1914), thèse, Histoire, Rouen, 2016, 874 f., sous presse.

[3] Études sorguaises.


Louis Jou, La charité in Sept péchés, sept vertus, 1914, collection privée