Concours

Prix de recherche du Comité Régional

Le prix de la recherche universitaire, d’un montant de 3 000 euros, décerné par le Comité régional a été attribué à Monsieur Kevin Machado, pour sa thèse de doctorat “Les politiques sociales des entreprises : l’exemple du Sud-Est de la France sous la Troisième République et le régime de Vichy (1870-1944)”.

En raison de la crise sanitaire due au COVID, le prix n’a pas pu être attribuée à la date prévue.

Vous pouvez lire ci-dessous la présentation de la thèse.

Présentation de la thèse lauréate du prix de recherches 2023

Monsieur le Directeur de la CARSAT-SE, Monsieur le Président du Comité d’Histoire de la Sécurité sociale de la région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, Mesdames et Messieurs les membres du conseil d’administration, Mesdames et Messieurs.

            Tout d’abord, je tiens à vous remercier de m’avoir fait l’honneur de choisir mon travail pour l’obtention du prix de recherche du Comité d’histoire de la sécurité sociale Provence-Alpes Côte d’Azur. Je profite de cette occasion qu’il m’est donnée pour remercier à nouveau tout le personnel de l’université Côte d’Azur, les membres du laboratoire ERMES que j’ai intégré lors de mon travail de thèse en histoire du droit contemporain, mais aussi et surtout le Professeur Olivier Vernier qui me fait l’honneur et le plaisir d’être présent aujourd’hui. Ce travail aurait été impossible sans son aide et ses conseils précieux. Pour votre implication sans faille durant ces cinq années, merci encore.

            Ainsi, c’est grâce au soutien de toutes ces personnes que j’ai pu mener à bien ma thèse dont le sujet est : Les politiques sociales des entreprises dans le Sud-Est de la France, de la Troisième République au régime de Vichy.

            Dès le début de cette recherche, il a été convenu d’étudier les pratiques sociales d’entreprises importantes et embauchant une main-d’œuvre relativement nombreuse car seules susceptibles de développer des politiques sociales d’envergure, à la différence de ce que l’on appelle en droit positif les micro-entreprises. Il s’agissait de proposer un éclairage à la fois régional et global sur des entreprises qui ont développé à partir de la seconde révolution industrielle une politique sociale reconnue à l’égard de leur personnel. Rapidement, ce point de départ s’est élargi et il a aussi été important de saisir la volonté des industriels de s’implanter localement de manière durable en usant de moyens financiers importants. Ainsi, si le patronat étudié cherche dans une certaine mesure, à prendre en charge sa main-d’œuvre, selon l’expression consacrée, surtout dans l’Est et le Nord du pays, « du berceau à la tombe », son influence dépasse les limites spatiales strictes de l’usine et ce phénomène a aussi dû être examiné avec attention.

            Par l’étude première de la bibliographie la plus fondamentale concernant l’histoire sociale de la France de la seconde industrialisation, il est rapidement apparu qu’une bonne partie du Sud-Est français n’a que peu connu un phénomène industriel important et par conséquent des choix ont dû être opérés. Certains départements du Sud-Est en effet, restent essentiellement ruraux et artisanaux. C’est le cas notamment du département de la Drôme qui, s’il demeure important dans le secteur textile, connait principalement des fabriques de taille modeste. Il en est de même pour la Haute-Savoie, l’Ardèche, les Alpes-de-Haute-Provence qui constituent chacune un territoire dominé par le modèle de l’ouvrier-paysan. Concernant les départements des Hautes-Alpes et de la Savoie, il faut néanmoins y évoquer l’importance historique du groupe Péchiney. En effet, les fonds présents aux archives départementales des Hautes-Alpes ne proposent que de trop rares sources relatives au personnel. Les sources de Péchiney en Savoie se montrent quant à elles, bien plus prolixes et j’aimerais à ce sujet remercier le personnel des archives départementales de Savoie qui a eu l’amabilité de me communiquer les répertoires numériques détaillés temporaires et alors inaccessibles au public de plusieurs usines du groupe. 

Mais, ces fonds, conséquents et précieux sur l’histoire sociale de ces exploitations, portent principalement sur le second XXe siècle et pour cette raison, nous avons fait le choix de les écarter puisque notre recherche a été menée jusqu’au régime de Vichy. D’autres départements, au contraire, ont heureusement, conservé des archives privées témoignant d’une idéologie patronale typique ou d’une gestion sociale particulièrement développée.

            À cet égard, les archives départementales des Alpes-Maritimes, si elles restent lacunaires en raison du passé industriel modeste et monothématique (on pense à l’industrie hôtelière touristique dans la région), permet toutefois de saisir précisément la doctrine patronale, finalement homogène, du département mais aussi de celle de l’ensemble du pays par l’étude des  riches procès-verbaux de séance de la Chambre de commerce de Nice, ainsi que de celles de nombreuses autres villes présentes dans le fonds. L’étude de ces fonds conduit à envisager de manière précise les réactions patronales conservatrices et méfiantes face aux différentes législations sociales d’un État providence consolidant progressivement ses prérogatives. Le département des Alpes-Maritimes demeure aussi intéressant car les données archivistiques permettent de mettre en lumière, même de manière partielle, des informations relatives à l’hôtellerie, au bâtiment, à la verrerie, au chemin de fer ou encore à la parfumerie.

            De même, les fonds détenus aux archives départementales du Var restent silencieux sur l’héritage industriel, pourtant conséquent dans cette région, notamment dans la construction navale (La Seyne). Son étude reste toutefois pertinente en ce qu’elle présente largement la naissance et le développement des bourses du travail envisagées comme un organe syndical puissant et présentant les caractéristiques, dans une certaine mesure d’un contre-pouvoir avec des revendications sociales à l’égard du paternalisme étudié. Ces informations ont aussi permis de procéder à un travail comparatiste avec les bourses de Nice, de Marseille, et de la Loire. Il apparait alors très clairement que la volonté politique municipale est intrinsèquement liée à la réussite ou à l’échec de ces lieux ouvriers par l’octroi de subventions, ou non. Ces fonds permettent de même de saisir les activités proposées, en matière de cours à destination de la classe ouvrière et ayant une visée professionnalisante ou de culture générale. Des informations intéressantes sont aussi présentes au sujet du travail difficile opéré par les inspecteurs du travail en matière de respect d’horaires et de sécurité qui ont un impact sur la santé du monde du travail.

Le département des Bouches-du-Rhône est historiquement l’espace le plus industrialisé de la région PACA avec dès 1830, un phénomène de première industrialisation qui éclot dans le domaine du négoce, en lien avec l’activité portuaire de la ville de Marseille. Toutefois, les archives comprennent ici encore des fonds relativement modestes à l’exception du fonds consacré au groupe belge Solvay qui s’installe dans la région à la fin du XIXe siècle. L’étude de ces données archivistiques complètes, déjà proposée par le Professeur Xavier Daumalin d’Aix-Marseille Université  permet de mettre en lumière l’essentiel de la politique sociale du grand groupe. Marquée par un autoritarisme fort, l’usine est ici dirigée par un directeur, nommé par la direction centrale pour ses qualités techniques et de gestion. Ignorant ici le modèle familial encouragé par Casino  à Saint-Etienne, ou la SKL (Société des Établissements Keller et Leleux  à Livet-et-Gavet en Isère), Solvay préfère recourir à un modèle technocratique qui réduit les liens personnels qui peuvent se tisser entre le directeur et sa main-d’œuvre. Pour cette raison, le paternalisme exercé par le groupe belge se montre autoritaire, voire brutal, et des procédures de surveillance et de contrôle manifestes sont largement mises en œuvre. Cela n’empêche pourtant pas le groupe de se parer de tous les atours du paternalisme entendu de manière traditionnelle : lieux de socialisation, logements ouvriers, activités sportives et artistiques, colonies de vacances, etc.

Au sein de ce même département, l’accès aux archives municipales de Marseille a permis d’étudier la naissance du syndicalisme des ouvriers du port de Marseille à travers l’étude de grèves importantes qui ont touché le secteur au début du XXe siècle. Cela conduit à proposer aussi en filigrane une étude sur le contexte économique, politique, patronal et migratoire de la ville en expliquant les raisons des succès et des échecs des mouvements sociaux du secteur de 1900 jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale.

            Concernant les départements de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur moins présents, à savoir les Alpes-de-Haute-Provence, et le Vaucluse, nous regrettons la rareté des sources disponibles mais qui s’expliquent facilement par le caractère rural de ces territoires, sans implantation de grands espaces industriels. Nous devons toutefois nuancer ce propos à l’égard du Vaucluse, qui a connu une activité industrielle importante en matière textile et de cartonnerie (Valréas).

            Le passé industriel en lui-même du grand Sud-Est a donc toutefois pu être envisagé précisément par le dépouillement minutieux des fonds présents aux archives départementales des Bouches-du-Rhône, nous l’avons dit, (même si ici l’absence du secteur minier (Gardanne) est à déplorer), de l’Isère, de la Loire et dans une certaine mesure du Rhône. La diversité des entreprises étudiées permet d’appréhender de multiples secteurs touchant par exemple, au sous-sol, à la chimie, au commerce de biens manufacturés, à la verrerie, au textile ou encore à l’électro-métallurgie. De même, le fonds Casino, déjà étudié par Olivier Londeix dans sa thèse d’histoire sous l’angle commercial et consultée aux archives municipales de Saint-Étienne, présente quant à lui le secteur de la grande distribution. Ce fonds se révèle particulièrement riche sur l’histoire de l’ensemble du groupe en général et sur sa gestion  paternaliste de la famille Guichard de l’ensemble du personnel.

            L’ampleur des sources consultées permet toutefois de dresser un portrait aussi fidèle que possible de la réalité sociale de ces entreprises. Ces sources sont diverses et sont essentiellement constituées de procès-verbaux de conseils d’administration, de notes internes diverses sur l’ensemble des services sociaux, de notes destinées au personnel ou encore de nombreux rapports présentant le fonctionnement et les résultats de ces services. Apparaissant de manière moins évidente en raison de sources plus éparses, la réception ouvrière à l’ensemble des dispositifs sociaux patronaux mais elle reste présente au sein de ce travail par l’étude des sources archivistiques analysant la création et le fonctionnement des bourses du travail, mais aussi par les conflits sociaux qui émaillent l’ensemble de la période.

            Par la diversité des sources envisagées, il est apparu assez tôt qu’un plan chronologique classique ne pouvait pas convenir. En effet, s’il existe un fil conducteur certain qui relie l’ensemble des entreprises étudiées, l’hétérogénéité des différents secteurs d’activité (commerce de biens ou d’alimentation, chimie, mines, verrerie, textile…) ne permet pas de constituer une approche chronologique avec un point pivot commun à toutes ces branches. De même, certains dispositifs sociaux apparaissent de manière plus ou moins précoce selon les différentes entreprises et un plan chronologique aurait ainsi entraîné des répétitions fastidieuses pour le lecteur. Pour ces raisons, c’est donc un plan thématique qui a été préféré.

            La première partie de cette thèse analyse ainsi l’idéologie patronale en elle-même et comment celle-ci se répercute sur la production et sur l’action collective syndicale. C’est notamment dans cette partie que les données recueillies au sein des archives départementales des Alpes-Maritimes, du Var et des archives municipales de Marseille ont été précieuses.

            La seconde partie quant à elle, examine l’application concrète des politiques sociales par la multiplication et la diversité des services destinés à la population ouvrière ainsi que le niveau et les conditions de sa rémunération en argent par le salaire mais aussi par l’importance des nombreuses primes. 

            De même, l’importance quantitative de ces sources a pour avantage essentiel de dresser un portrait nuancé du paternalisme. Se détachant ainsi de la figure -bien connue ainsi dans le Nord ou en Alsace- unique et stéréotypée du patron, envisagé soit comme un philanthrope soit comme un maître absolu agissant sans contrainte dans les murs de son usine.

            Par conséquent, il est apparu au cours du dépouillement des différents fonds privés qu’une définition stricte et absolue du modèle paternaliste en tant que concept semble impossible puisque parmi les entreprises étudiées, toutes proposent des modèles d’organisation sensiblement différents quant à leur approche, à l’égard de la main-d’œuvre même s’il faut reconnaitre qu’une certaine uniformité demeure.

            Ces différences sensibles d’organisation ne se manifestent pas avec les différents services sociaux proposés au personnel qui restent globalement toujours les mêmes. Ainsi, la plupart des entreprises étudiées proposent à leurs ouvriers la location de logements à prix réduit, des soins médicaux pouvant s’étendre à l’ensemble de la famille ouvrière ou encore des services d’alimentation gérée étroitement par les organes de direction avec parfois des économats. À ces services s’ajoutent des loisirs, toujours patronnés par la direction, et à destination de l’ensemble de la cellule familiale de l’ouvrier.

Véritable socle de l’ensemble des politiques sociales étudiées, le logement ouvrier constitue la matrice première d’un paternalisme d’envergure. Ce dispositif permet d’installer et de stabiliser une population ouvrière parfois nomade au sein d’un territoire rural et isolé. Ces logements envisagés comme une représentation hiérarchique de l’espace et qui restent toujours dans le patrimoine foncier de l’entreprise, ont aussi pour avantage d’opérer un contrôle interne sur le mode de vie ouvrier. Le patronat, désireux de sortir sa main-d’œuvre du mode de vie paysan et de la protéger des risques supposés de l’habitat urbain considéré alors comme néfaste par essence, entend par l’habitation véhiculer un ensemble de valeurs touchant à l’hygiénisme et au respect de l’autorité et de la hiérarchie. 

Cet hygiénisme moral et sanitaire traverse l’essentiel des services proposés par le patronat étudié à sa main-d’œuvre. En plus des services de santé qui poursuivent de manière évidente ce but, ceux consacrés à l’alimentation ouvrière ont aussi pour objectif, en plus d’attacher le personnel au territoire de l’usine, de proposer des biens de consommation sains et contrôlés par le patronat. Une finalité similaire est par ailleurs poursuivie par l’organisation patronale des loisirs ouvriers tout comme celle des cours professionnels qui promeuvent des activités considérées comme saines, tant sur le plan physique que moral, et qui entendent éloigner l’ouvrier d’occupations perçues malsaines telles que le cabaret, censé être responsable des tendances alcooliques et de l’oisiveté généralisées que l’on prête généralement à la classe ouvrière.

Cet objectif hygiéniste se retrouve aussi à l’égard des enfants des ouvriers avec la mise en place de colonies de vacances ou de scoutisme, laïques ou religieuses, et ayant pour objectif de préserver la santé de la jeunesse tout en lui inculquant des valeurs morales communes promues par l’ensemble du patronat étudié.

En parallèle de ces nombreux services, le patronat paternaliste entend multiplier les primes qui prennent en compte la situation personnelle, morale et familiale du travailleur. Ces primes, entendues comme des libéralités, poursuivent ainsi plusieurs objectifs. Rappelant les rapports de personne à personne de l’ancien patronage, elles permettent d’encourager certains comportements tout en justifiant des salaires généralement bas. Elles constituent aussi un levier efficace pour le patronat qui peut s’adapter aux contingences économiques en modulant ces primes soit à la hausse soit à la baisse.

            Si les services proposés demeurent similaires, leur mode de fonctionnement en interne varie et c’est à travers ce prisme que certaines intentions patronales transparaissent. Ainsi, des entreprises familiales comme Casino ou SKL sont dirigées par des figures fortes, emblématiques et charismatiques qui entendent représenter la figure du patron social philanthrope qui prend soin de son personnel en mettant notamment en avant des valeurs religieuses. Ainsi, l’étude de la correspondance entre ces chefs d’entreprise et la main-d’œuvre fait apparaitre très clairement une volonté forte de se placer en tant que bienfaiteur à l’égard de la population ouvrière qu’ils emploient et envers laquelle ils estiment avoir une responsabilité morale. La figure du directeur à la fois bienveillant et sévère à l’égard de son personnel justifie le nécessaire respect de normes qui règlent l’ordre usinier. C’est par sa présence effective sur les lieux de production et le rapport personnel qu’il souhaite entretenir avec sa main-d’œuvre que le patron entend tirer sa légitimité́ pour édicter des règles contraignantes. 

Au carrefour de ces deux pratiques se trouve l’industrie du sous-sol de la Loire qui développe un modèle de gestion paternaliste que l’on pourrait qualifier d’ « utilitariste ». L’industrie lourde, par nature dangereuse, se doit de conserver une main-d’œuvre robuste et en bonne santé. Ainsi, le secteur minier investit très tôt dans des dispensaires ou des cliniques qui en échange, mettent à disposition des lits pour les malades et les blessés de la mine. Toutefois ici, ce service répond à une logique purement pragmatique et les compagnies ne s’engagent que rarement plus loin que ce qui est nécessaire au bon fonctionnement de l’industrie ou que ce qui est prévu par le cadre légal. Pour cette raison, la protection de la santé ouvrière n’entraîne jamais une remise en cause profonde des méthodes de production. De même, le logement ouvrier est lui aussi appréhendé seulement comme un moyen efficace de stabiliser une main-d’œuvre rurale et bien souvent étrangère au sein d’une région rurale et isolée.

Ces différents modèles invitent donc à envisager le paternalisme comme une notion protéiforme qui répond à la fois à des exigences matérielles de production mais aussi, à des considérations morales propres à chaque chef d’entreprise. Ainsi, si l’ensemble de ces services destinés à la main-d’œuvre ouvrière peut revêtir une dimension philanthropique qu’il ne faut pas négliger, le but essentiel poursuivi reste d’opérer in fine un contrôle social le plus efficace possible sur cette population que les industriels entendent stabiliser au sein de l’usine, éduquer et faire adhérer à un ensemble de valeurs profitables à la bonne marche industrielle.

Il ne faut toutefois pas envisager ce dernier but comme un plan défini précisément et à l’avance par les industriels mais plutôt comme l’assemblage progressif de divers services qui mis en résonnance les uns avec les autres, tendent de fait vers cette finalité. Autrement dit, c’est par le résultat obtenu des différents dispositifs sociaux mis ensemble en synergie qu’il est possible de déterminer s’il s’agit d’une politique paternaliste ou non ?

Si des différences essentielles de fond sont à signaler, un point de convergence fondamentale demeure toutefois entre toutes les entreprises étudiées : celui du respect absolu de l’autorité patronale qui ne doit jamais être bafouée par l’ouvrier et, en miroir, le rejet systématique de l’action collective syndicale (que ce soit dans le monde des armateurs marseillais ou celui des hôteliers azuréens).  

Le patron paternaliste se perçoit en effet comme un chef d’entreprise bienveillant qui veille au bien-être de sa population et la demande de nouveaux avantages par des ouvriers considérés comme ingrats est bien souvent perçue avec méfiance. Dans ces conditions, l’industriel accepte la plupart du temps, de négocier de manière individuelle, de personne à personne, en prenant en compte la situation individuelle de chacun qu’elle soit familiale ou de santé. Par conséquent, l’action collective revendicatrice est perçue comme une ingérence disproportionnée remettant en cause de manière trop profonde son organisation productive et son autorité entrepreneuriale.  À cet égard, le modèle paternaliste semble efficace. 

À l’exception notable du secteur minier qui dispose d’un syndicalisme puissant et des grèves de 1936, il apparaît clairement que le recours à la grève reste un fait rare parmi les entreprises étudiées, particulièrement dans celles où la fonction de directeur est dévolue à un homme connu et proche de la main-d’œuvre ouvrière. À l’inverse mais produisant les mêmes effets, une gestion sociale particulièrement autoritaire semble dissuader tout mouvement collectif durable, à l’image du groupe Solvay. En règle générale, le patron social qui aime à se considérer comme une figure paternelle et bienveillante envers ses ouvriers voit dans la grève une atteinte grave à son autorité. Ne refusant pas le principe d’une amélioration des conditions de vie et de travail de sa main-d’œuvre, il préfère recourir à un dialogue « de personne à personne » en dehors des institutions syndicales et publiques. Par ce biais, il peut de manière plus libre, déterminer les nouvelles conditions de travail auxquelles il consent. La place de la négociation est alors très réduite puisque bien souvent, en cas de refus ou de menace de grève de la part des ouvriers, la direction menace de simplement supprimer certains avantages sociaux, voire de fermer l’usine. Ce refus généralisé de l’action collective ouvrière s’illustre aussi par la mise à l’index systématique des ouvriers les plus engagés syndicalement et la méfiance constante à l’égard des institutions ouvrières comme les bourses du travail qui dénoncent l’hégémonie patronale en matière sociale.

Le refus patronal de toute ingérence extérieure aux murs de l’usine se retrouve aussi à travers la méfiance généralisée exercée à l’égard de l’émergence de l’État providence. Désirant rester maître au sein de ses usines, le patronat envisage l’action publique comme un carcan administratif et légal qui circonscrit trop fortement leur marge de manœuvre. L’obligation légale est perçue comme une limite au principe de liberté, notion essentielle qui traverse l’ensemble de l’idéologie patronale. Seules les mesures favorables directement à l’augmentation de la production telles que celles organisant l’immigration de travail sont accueillies avec bienveillance.

Dans tous les cas, que le modèle paternaliste soit d’origine philanthropique, utilitaire ou autoritaire, celui-ci ne remet jamais en cause la sauvegarde des intérêts économiques et productifs qui prévalent toujours.

Le premier XXe siècle est marqué par un développement certain du secteur industriel. À l’inverse, le second XXe siècle, en particulier à partir des années 1970 constitue un point d’arrêt important au profit du secteur tertiaire des services. L’éclatement des grands ensembles, notamment de l’industrie lourde, a pour effet notable de disséminer la classe ouvrière en une multitude de salariés employés dans le tertiaire, moins mobilisés à l’action syndicale.

Ce phénomène se trouve exacerbé au début des années 1980 par les lois Auroux de 1982 envisagées comme une véritable révolution des rapports salariaux. En effet, ces lois ont pour effet notable d’individualiser les rapports salariaux et de fait, de réduire le poids syndical au sein de l’entreprise et la marge de manœuvre étatique circonscrite alors à ses seules fonctions régaliennes.

Si le paternalisme classique étudié dans le cadre de cette thèse tend à disparaitre, une nouvelle conception sociale, nommée la responsabilité sociale de l’entreprise se développe au sein des entreprises. S’éloignant sur certains points du modèle ancien en mettant l’accent sur la seule rémunération en argent et en estompant les obligations réciproques salarié-patron, l’organisation productive moderne se rapproche sur d’autres points de l’ancien patron social par une volonté marquée de développer un certain bien-être au travail censé promouvoir un esprit d’entreprise porteur de sens pour ses employés et permettant d’améliorer l’efficacité de la production au sens large.

Monsieur le Directeur de la CARSAT-SE, Monsieur le Président du Comité d’Histoire de la Sécurité sociale de la région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, Mesdames et Messieurs les membres du conseil d’administration, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre écoute et vous redis ma gratitude.

                                                                                                                      Kévin MACHADO

Monsieur le Directeur de la CARSAT-SE, Monsieur le Président du Comité d’Histoire de la Sécurité sociale de la région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, Mesdames et Messieurs les membres du conseil d’administration, Mesdames et Messieurs.

            Tout d’abord, je tiens à vous remercier de m’avoir fait l’honneur de choisir mon travail pour l’obtention du prix de recherche du Comité d’histoire de la sécurité sociale Provence-Alpes Côte d’Azur. Je profite de cette occasion qu’il m’est donnée pour remercier à nouveau tout le personnel de l’université Côte d’Azur, les membres du laboratoire ERMES que j’ai intégré lors de mon travail de thèse en histoire du droit contemporain, mais aussi et surtout le Professeur Olivier Vernier qui me fait l’honneur et le plaisir d’être présent aujourd’hui. Ce travail aurait été impossible sans son aide et ses conseils précieux. Pour votre implication sans faille durant ces cinq années, merci encore.

            Ainsi, c’est grâce au soutien de toutes ces personnes que j’ai pu mener à bien ma thèse dont le sujet est : Les politiques sociales des entreprises dans le Sud-Est de la France, de la Troisième République au régime de Vichy.

            Dès le début de cette recherche, il a été convenu d’étudier les pratiques sociales d’entreprises importantes et embauchant une main-d’œuvre relativement nombreuse car seules susceptibles de développer des politiques sociales d’envergure, à la différence de ce que l’on appelle en droit positif les micro-entreprises. Il s’agissait de proposer un éclairage à la fois régional et global sur des entreprises qui ont développé à partir de la seconde révolution industrielle une politique sociale reconnue à l’égard de leur personnel. Rapidement, ce point de départ s’est élargi et il a aussi été important de saisir la volonté des industriels de s’implanter localement de manière durable en usant de moyens financiers importants. Ainsi, si le patronat étudié cherche dans une certaine mesure, à prendre en charge sa main-d’œuvre, selon l’expression consacrée, surtout dans l’Est et le Nord du pays, « du berceau à la tombe », son influence dépasse les limites spatiales strictes de l’usine et ce phénomène a aussi dû être examiné avec attention.

            Par l’étude première de la bibliographie la plus fondamentale concernant l’histoire sociale de la France de la seconde industrialisation, il est rapidement apparu qu’une bonne partie du Sud-Est français n’a que peu connu un phénomène industriel important et par conséquent des choix ont dû être opérés. Certains départements du Sud-Est en effet, restent essentiellement ruraux et artisanaux. C’est le cas notamment du département de la Drôme qui, s’il demeure important dans le secteur textile, connait principalement des fabriques de taille modeste. Il en est de même pour la Haute-Savoie, l’Ardèche, les Alpes-de-Haute-Provence qui constituent chacune un territoire dominé par le modèle de l’ouvrier-paysan. Concernant les départements des Hautes-Alpes et de la Savoie, il faut néanmoins y évoquer l’importance historique du groupe Péchiney. En effet, les fonds présents aux archives départementales des Hautes-Alpes ne proposent que de trop rares sources relatives au personnel. Les sources de Péchiney en Savoie se montrent quant à elles, bien plus prolixes et j’aimerais à ce sujet remercier le personnel des archives départementales de Savoie qui a eu l’amabilité de me communiquer les répertoires numériques détaillés temporaires et alors inaccessibles au public de plusieurs usines du groupe. 

Mais, ces fonds, conséquents et précieux sur l’histoire sociale de ces exploitations, portent principalement sur le second XXe siècle et pour cette raison, nous avons fait le choix de les écarter puisque notre recherche a été menée jusqu’au régime de Vichy. D’autres départements, au contraire, ont heureusement, conservé des archives privées témoignant d’une idéologie patronale typique ou d’une gestion sociale particulièrement développée.

            À cet égard, les archives départementales des Alpes-Maritimes, si elles restent lacunaires en raison du passé industriel modeste et monothématique (on pense à l’industrie hôtelière touristique dans la région), permet toutefois de saisir précisément la doctrine patronale, finalement homogène, du département mais aussi de celle de l’ensemble du pays par l’étude des  riches procès-verbaux de séance de la Chambre de commerce de Nice, ainsi que de celles de nombreuses autres villes présentes dans le fonds. L’étude de ces fonds conduit à envisager de manière précise les réactions patronales conservatrices et méfiantes face aux différentes législations sociales d’un État providence consolidant progressivement ses prérogatives. Le département des Alpes-Maritimes demeure aussi intéressant car les données archivistiques permettent de mettre en lumière, même de manière partielle, des informations relatives à l’hôtellerie, au bâtiment, à la verrerie, au chemin de fer ou encore à la parfumerie.

            De même, les fonds détenus aux archives départementales du Var restent silencieux sur l’héritage industriel, pourtant conséquent dans cette région, notamment dans la construction navale (La Seyne). Son étude reste toutefois pertinente en ce qu’elle présente largement la naissance et le développement des bourses du travail envisagées comme un organe syndical puissant et présentant les caractéristiques, dans une certaine mesure d’un contre-pouvoir avec des revendications sociales à l’égard du paternalisme étudié. Ces informations ont aussi permis de procéder à un travail comparatiste avec les bourses de Nice, de Marseille, et de la Loire. Il apparait alors très clairement que la volonté politique municipale est intrinsèquement liée à la réussite ou à l’échec de ces lieux ouvriers par l’octroi de subventions, ou non. Ces fonds permettent de même de saisir les activités proposées, en matière de cours à destination de la classe ouvrière et ayant une visée professionnalisante ou de culture générale. Des informations intéressantes sont aussi présentes au sujet du travail difficile opéré par les inspecteurs du travail en matière de respect d’horaires et de sécurité qui ont un impact sur la santé du monde du travail.

Le département des Bouches-du-Rhône est historiquement l’espace le plus industrialisé de la région PACA avec dès 1830, un phénomène de première industrialisation qui éclot dans le domaine du négoce, en lien avec l’activité portuaire de la ville de Marseille. Toutefois, les archives comprennent ici encore des fonds relativement modestes à l’exception du fonds consacré au groupe belge Solvay qui s’installe dans la région à la fin du XIXe siècle. L’étude de ces données archivistiques complètes, déjà proposée par le Professeur Xavier Daumalin d’Aix-Marseille Université  permet de mettre en lumière l’essentiel de la politique sociale du grand groupe. Marquée par un autoritarisme fort, l’usine est ici dirigée par un directeur, nommé par la direction centrale pour ses qualités techniques et de gestion. Ignorant ici le modèle familial encouragé par Casino  à Saint-Etienne, ou la SKL (Société des Établissements Keller et Leleux  à Livet-et-Gavet en Isère), Solvay préfère recourir à un modèle technocratique qui réduit les liens personnels qui peuvent se tisser entre le directeur et sa main-d’œuvre. Pour cette raison, le paternalisme exercé par le groupe belge se montre autoritaire, voire brutal, et des procédures de surveillance et de contrôle manifestes sont largement mises en œuvre. Cela n’empêche pourtant pas le groupe de se parer de tous les atours du paternalisme entendu de manière traditionnelle : lieux de socialisation, logements ouvriers, activités sportives et artistiques, colonies de vacances, etc.

Au sein de ce même département, l’accès aux archives municipales de Marseille a permis d’étudier la naissance du syndicalisme des ouvriers du port de Marseille à travers l’étude de grèves importantes qui ont touché le secteur au début du XXe siècle. Cela conduit à proposer aussi en filigrane une étude sur le contexte économique, politique, patronal et migratoire de la ville en expliquant les raisons des succès et des échecs des mouvements sociaux du secteur de 1900 jusqu’à la veille de la Première Guerre mondiale.

            Concernant les départements de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur moins présents, à savoir les Alpes-de-Haute-Provence, et le Vaucluse, nous regrettons la rareté des sources disponibles mais qui s’expliquent facilement par le caractère rural de ces territoires, sans implantation de grands espaces industriels. Nous devons toutefois nuancer ce propos à l’égard du Vaucluse, qui a connu une activité industrielle importante en matière textile et de cartonnerie (Valréas).

            Le passé industriel en lui-même du grand Sud-Est a donc toutefois pu être envisagé précisément par le dépouillement minutieux des fonds présents aux archives départementales des Bouches-du-Rhône, nous l’avons dit, (même si ici l’absence du secteur minier (Gardanne) est à déplorer), de l’Isère, de la Loire et dans une certaine mesure du Rhône. La diversité des entreprises étudiées permet d’appréhender de multiples secteurs touchant par exemple, au sous-sol, à la chimie, au commerce de biens manufacturés, à la verrerie, au textile ou encore à l’électro-métallurgie. De même, le fonds Casino, déjà étudié par Olivier Londeix dans sa thèse d’histoire sous l’angle commercial et consultée aux archives municipales de Saint-Étienne, présente quant à lui le secteur de la grande distribution. Ce fonds se révèle particulièrement riche sur l’histoire de l’ensemble du groupe en général et sur sa gestion  paternaliste de la famille Guichard de l’ensemble du personnel.

            L’ampleur des sources consultées permet toutefois de dresser un portrait aussi fidèle que possible de la réalité sociale de ces entreprises. Ces sources sont diverses et sont essentiellement constituées de procès-verbaux de conseils d’administration, de notes internes diverses sur l’ensemble des services sociaux, de notes destinées au personnel ou encore de nombreux rapports présentant le fonctionnement et les résultats de ces services. Apparaissant de manière moins évidente en raison de sources plus éparses, la réception ouvrière à l’ensemble des dispositifs sociaux patronaux mais elle reste présente au sein de ce travail par l’étude des sources archivistiques analysant la création et le fonctionnement des bourses du travail, mais aussi par les conflits sociaux qui émaillent l’ensemble de la période.

            Par la diversité des sources envisagées, il est apparu assez tôt qu’un plan chronologique classique ne pouvait pas convenir. En effet, s’il existe un fil conducteur certain qui relie l’ensemble des entreprises étudiées, l’hétérogénéité des différents secteurs d’activité (commerce de biens ou d’alimentation, chimie, mines, verrerie, textile…) ne permet pas de constituer une approche chronologique avec un point pivot commun à toutes ces branches. De même, certains dispositifs sociaux apparaissent de manière plus ou moins précoce selon les différentes entreprises et un plan chronologique aurait ainsi entraîné des répétitions fastidieuses pour le lecteur. Pour ces raisons, c’est donc un plan thématique qui a été préféré.

            La première partie de cette thèse analyse ainsi l’idéologie patronale en elle-même et comment celle-ci se répercute sur la production et sur l’action collective syndicale. C’est notamment dans cette partie que les données recueillies au sein des archives départementales des Alpes-Maritimes, du Var et des archives municipales de Marseille ont été précieuses.

            La seconde partie quant à elle, examine l’application concrète des politiques sociales par la multiplication et la diversité des services destinés à la population ouvrière ainsi que le niveau et les conditions de sa rémunération en argent par le salaire mais aussi par l’importance des nombreuses primes. 

            De même, l’importance quantitative de ces sources a pour avantage essentiel de dresser un portrait nuancé du paternalisme. Se détachant ainsi de la figure -bien connue ainsi dans le Nord ou en Alsace- unique et stéréotypée du patron, envisagé soit comme un philanthrope soit comme un maître absolu agissant sans contrainte dans les murs de son usine.

            Par conséquent, il est apparu au cours du dépouillement des différents fonds privés qu’une définition stricte et absolue du modèle paternaliste en tant que concept semble impossible puisque parmi les entreprises étudiées, toutes proposent des modèles d’organisation sensiblement différents quant à leur approche, à l’égard de la main-d’œuvre même s’il faut reconnaitre qu’une certaine uniformité demeure.

            Ces différences sensibles d’organisation ne se manifestent pas avec les différents services sociaux proposés au personnel qui restent globalement toujours les mêmes. Ainsi, la plupart des entreprises étudiées proposent à leurs ouvriers la location de logements à prix réduit, des soins médicaux pouvant s’étendre à l’ensemble de la famille ouvrière ou encore des services d’alimentation gérée étroitement par les organes de direction avec parfois des économats. À ces services s’ajoutent des loisirs, toujours patronnés par la direction, et à destination de l’ensemble de la cellule familiale de l’ouvrier.

Véritable socle de l’ensemble des politiques sociales étudiées, le logement ouvrier constitue la matrice première d’un paternalisme d’envergure. Ce dispositif permet d’installer et de stabiliser une population ouvrière parfois nomade au sein d’un territoire rural et isolé. Ces logements envisagés comme une représentation hiérarchique de l’espace et qui restent toujours dans le patrimoine foncier de l’entreprise, ont aussi pour avantage d’opérer un contrôle interne sur le mode de vie ouvrier. Le patronat, désireux de sortir sa main-d’œuvre du mode de vie paysan et de la protéger des risques supposés de l’habitat urbain considéré alors comme néfaste par essence, entend par l’habitation véhiculer un ensemble de valeurs touchant à l’hygiénisme et au respect de l’autorité et de la hiérarchie. 

Cet hygiénisme moral et sanitaire traverse l’essentiel des services proposés par le patronat étudié à sa main-d’œuvre. En plus des services de santé qui poursuivent de manière évidente ce but, ceux consacrés à l’alimentation ouvrière ont aussi pour objectif, en plus d’attacher le personnel au territoire de l’usine, de proposer des biens de consommation sains et contrôlés par le patronat. Une finalité similaire est par ailleurs poursuivie par l’organisation patronale des loisirs ouvriers tout comme celle des cours professionnels qui promeuvent des activités considérées comme saines, tant sur le plan physique que moral, et qui entendent éloigner l’ouvrier d’occupations perçues malsaines telles que le cabaret, censé être responsable des tendances alcooliques et de l’oisiveté généralisées que l’on prête généralement à la classe ouvrière.

Cet objectif hygiéniste se retrouve aussi à l’égard des enfants des ouvriers avec la mise en place de colonies de vacances ou de scoutisme, laïques ou religieuses, et ayant pour objectif de préserver la santé de la jeunesse tout en lui inculquant des valeurs morales communes promues par l’ensemble du patronat étudié.

En parallèle de ces nombreux services, le patronat paternaliste entend multiplier les primes qui prennent en compte la situation personnelle, morale et familiale du travailleur. Ces primes, entendues comme des libéralités, poursuivent ainsi plusieurs objectifs. Rappelant les rapports de personne à personne de l’ancien patronage, elles permettent d’encourager certains comportements tout en justifiant des salaires généralement bas. Elles constituent aussi un levier efficace pour le patronat qui peut s’adapter aux contingences économiques en modulant ces primes soit à la hausse soit à la baisse.

            Si les services proposés demeurent similaires, leur mode de fonctionnement en interne varie et c’est à travers ce prisme que certaines intentions patronales transparaissent. Ainsi, des entreprises familiales comme Casino ou SKL sont dirigées par des figures fortes, emblématiques et charismatiques qui entendent représenter la figure du patron social philanthrope qui prend soin de son personnel en mettant notamment en avant des valeurs religieuses. Ainsi, l’étude de la correspondance entre ces chefs d’entreprise et la main-d’œuvre fait apparaitre très clairement une volonté forte de se placer en tant que bienfaiteur à l’égard de la population ouvrière qu’ils emploient et envers laquelle ils estiment avoir une responsabilité morale. La figure du directeur à la fois bienveillant et sévère à l’égard de son personnel justifie le nécessaire respect de normes qui règlent l’ordre usinier. C’est par sa présence effective sur les lieux de production et le rapport personnel qu’il souhaite entretenir avec sa main-d’œuvre que le patron entend tirer sa légitimité́ pour édicter des règles contraignantes. 

Au carrefour de ces deux pratiques se trouve l’industrie du sous-sol de la Loire qui développe un modèle de gestion paternaliste que l’on pourrait qualifier d’ « utilitariste ». L’industrie lourde, par nature dangereuse, se doit de conserver une main-d’œuvre robuste et en bonne santé. Ainsi, le secteur minier investit très tôt dans des dispensaires ou des cliniques qui en échange, mettent à disposition des lits pour les malades et les blessés de la mine. Toutefois ici, ce service répond à une logique purement pragmatique et les compagnies ne s’engagent que rarement plus loin que ce qui est nécessaire au bon fonctionnement de l’industrie ou que ce qui est prévu par le cadre légal. Pour cette raison, la protection de la santé ouvrière n’entraîne jamais une remise en cause profonde des méthodes de production. De même, le logement ouvrier est lui aussi appréhendé seulement comme un moyen efficace de stabiliser une main-d’œuvre rurale et bien souvent étrangère au sein d’une région rurale et isolée.

Ces différents modèles invitent donc à envisager le paternalisme comme une notion protéiforme qui répond à la fois à des exigences matérielles de production mais aussi, à des considérations morales propres à chaque chef d’entreprise. Ainsi, si l’ensemble de ces services destinés à la main-d’œuvre ouvrière peut revêtir une dimension philanthropique qu’il ne faut pas négliger, le but essentiel poursuivi reste d’opérer in fine un contrôle social le plus efficace possible sur cette population que les industriels entendent stabiliser au sein de l’usine, éduquer et faire adhérer à un ensemble de valeurs profitables à la bonne marche industrielle.

Il ne faut toutefois pas envisager ce dernier but comme un plan défini précisément et à l’avance par les industriels mais plutôt comme l’assemblage progressif de divers services qui mis en résonnance les uns avec les autres, tendent de fait vers cette finalité. Autrement dit, c’est par le résultat obtenu des différents dispositifs sociaux mis ensemble en synergie qu’il est possible de déterminer s’il s’agit d’une politique paternaliste ou non ?

Si des différences essentielles de fond sont à signaler, un point de convergence fondamentale demeure toutefois entre toutes les entreprises étudiées : celui du respect absolu de l’autorité patronale qui ne doit jamais être bafouée par l’ouvrier et, en miroir, le rejet systématique de l’action collective syndicale (que ce soit dans le monde des armateurs marseillais ou celui des hôteliers azuréens).  

Le patron paternaliste se perçoit en effet comme un chef d’entreprise bienveillant qui veille au bien-être de sa population et la demande de nouveaux avantages par des ouvriers considérés comme ingrats est bien souvent perçue avec méfiance. Dans ces conditions, l’industriel accepte la plupart du temps, de négocier de manière individuelle, de personne à personne, en prenant en compte la situation individuelle de chacun qu’elle soit familiale ou de santé. Par conséquent, l’action collective revendicatrice est perçue comme une ingérence disproportionnée remettant en cause de manière trop profonde son organisation productive et son autorité entrepreneuriale.  À cet égard, le modèle paternaliste semble efficace. 

À l’exception notable du secteur minier qui dispose d’un syndicalisme puissant et des grèves de 1936, il apparaît clairement que le recours à la grève reste un fait rare parmi les entreprises étudiées, particulièrement dans celles où la fonction de directeur est dévolue à un homme connu et proche de la main-d’œuvre ouvrière. À l’inverse mais produisant les mêmes effets, une gestion sociale particulièrement autoritaire semble dissuader tout mouvement collectif durable, à l’image du groupe Solvay. En règle générale, le patron social qui aime à se considérer comme une figure paternelle et bienveillante envers ses ouvriers voit dans la grève une atteinte grave à son autorité. Ne refusant pas le principe d’une amélioration des conditions de vie et de travail de sa main-d’œuvre, il préfère recourir à un dialogue « de personne à personne » en dehors des institutions syndicales et publiques. Par ce biais, il peut de manière plus libre, déterminer les nouvelles conditions de travail auxquelles il consent. La place de la négociation est alors très réduite puisque bien souvent, en cas de refus ou de menace de grève de la part des ouvriers, la direction menace de simplement supprimer certains avantages sociaux, voire de fermer l’usine. Ce refus généralisé de l’action collective ouvrière s’illustre aussi par la mise à l’index systématique des ouvriers les plus engagés syndicalement et la méfiance constante à l’égard des institutions ouvrières comme les bourses du travail qui dénoncent l’hégémonie patronale en matière sociale.

Le refus patronal de toute ingérence extérieure aux murs de l’usine se retrouve aussi à travers la méfiance généralisée exercée à l’égard de l’émergence de l’État providence. Désirant rester maître au sein de ses usines, le patronat envisage l’action publique comme un carcan administratif et légal qui circonscrit trop fortement leur marge de manœuvre. L’obligation légale est perçue comme une limite au principe de liberté, notion essentielle qui traverse l’ensemble de l’idéologie patronale. Seules les mesures favorables directement à l’augmentation de la production telles que celles organisant l’immigration de travail sont accueillies avec bienveillance.

Dans tous les cas, que le modèle paternaliste soit d’origine philanthropique, utilitaire ou autoritaire, celui-ci ne remet jamais en cause la sauvegarde des intérêts économiques et productifs qui prévalent toujours.

Le premier XXe siècle est marqué par un développement certain du secteur industriel. À l’inverse, le second XXe siècle, en particulier à partir des années 1970 constitue un point d’arrêt important au profit du secteur tertiaire des services. L’éclatement des grands ensembles, notamment de l’industrie lourde, a pour effet notable de disséminer la classe ouvrière en une multitude de salariés employés dans le tertiaire, moins mobilisés à l’action syndicale.

Ce phénomène se trouve exacerbé au début des années 1980 par les lois Auroux de 1982 envisagées comme une véritable révolution des rapports salariaux. En effet, ces lois ont pour effet notable d’individualiser les rapports salariaux et de fait, de réduire le poids syndical au sein de l’entreprise et la marge de manœuvre étatique circonscrite alors à ses seules fonctions régaliennes.

Si le paternalisme classique étudié dans le cadre de cette thèse tend à disparaitre, une nouvelle conception sociale, nommée la responsabilité sociale de l’entreprise se développe au sein des entreprises. S’éloignant sur certains points du modèle ancien en mettant l’accent sur la seule rémunération en argent et en estompant les obligations réciproques salarié-patron, l’organisation productive moderne se rapproche sur d’autres points de l’ancien patron social par une volonté marquée de développer un certain bien-être au travail censé promouvoir un esprit d’entreprise porteur de sens pour ses employés et permettant d’améliorer l’efficacité de la production au sens large.

Monsieur le Directeur de la CARSAT-SE, Monsieur le Président du Comité d’Histoire de la Sécurité sociale de la région Sud-Provence-Alpes-Côte d’Azur, Mesdames et Messieurs les membres du conseil d’administration, Mesdames et Messieurs, je vous remercie de votre écoute et vous redis ma gratitude.

                                                                                                                      Kévin MACHADO

Le prix lui a été remis le 24 novembre 2023 par le président du Comité régional, ainsi que le chèque de 3 000 Euros, montant de ce prix.

La thèse de Kevin Machado est disponible en ligne:
https://theses.hal.science/tel-03117718

Vous pouvez également la télécharger ici-même:


Pour mémoire, le règlement du prix de recherches

Sur proposition du bureau, le conseil d’administration a approuvé la réinstauration de concours de recherches créés en 1999, destinés à encourager la recherche régionale en histoire de la protection sociale et en histoire de la sécurité sociale et d’aider à leur diffusion.

 Règlement

Article 1

Un prix de la recherche universitaire d’un montant de 3 000 euros pourra récompenser une recherche universitaire (thèse, mémoire de master II, mémoire de master I…) portant sur un sujet régional intéressant la protection sociale au sens large, du Moyen-Âge à nos jours et soutenu en priorité, devant une université ou un établissement d’enseignement supérieur de la région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Article 2

 Un autre prix de recherches libres et non académiques d’un montant de 1 500 euros pourra récompenser une recherche inédite et non déjà primée sur un sujet d’histoire de la sécurité sociale en région Sud – Provence-Alpes-Côte d’Azur.

Article 3

Peuvent concourir les auteurs de travaux rédigés en français sous forme papier dont la date de soutenance ou de rédaction est postérieure à 2016.

Article 4

Un jury désigné par le conseil scientifique évaluera souverainement les travaux soumis et attribuera publiquement les prix dans le courant de l’année suivante.

Article 5

La date limite des dépôts de candidatures et de l’envoi postal et de l’envoi électronique des travaux en double exemplaire est fixée au 31 décembre 2022.

Article 6

Les lauréates et les lauréats donneront leur accord pour la publication intégrale ou sélectionnée, revue éventuellement sur suggestions du jury, de leurs travaux ayant fait l’objet de leurs candidatures dans le Bulletin du Comité ou sur le site, accompagnés de leurs photos et de leurs coordonnées sur le site et dans le Bulletin.

Modalités de candidature

Il conviendra de fournir :

  • une lettre de candidature rédigée sur papier libre
  • un curriculum vitae papier complet
  • deux exemplaires papier des travaux, qui ne seront pas retournés
  • la version numérique du document en format PDF
  • une copie du rapport de soutenance, datée et signée par le jury, pour les thèses
  • un résumé (environ 8000 signes)

L’ensemble devra être adressé au Président du Comité d’histoire de la sécurité sociale aux adresses postale et courriel suivantes :

CARSAT-SE
35 rue George
13005 Marseille

president@chsspaca.fr

Télécharger le règlement au format PDF pour l’imprimer


Jeu-concours ouvert aux Organismes de Sécurité sociale de la région PACA

Afin d’associer plus largement les organismes et leurs collaborateurs à l’histoire de la Sécurité sociale, le CHSS PACA, propose un jeu-concours autour des richesses de notre passé. Simple et ludique, trois challenges sont proposés :

  • 1) Retrouver le PV de CA le plus ancien de la Caisse assorti d’une vingtaine de lignes de commentaires pour exposer le contexte et les débats entourant cette période.
  • 2) Proposer une photo d’époque ou les plans d’un bâtiment marquant, appartenant ou ayant appartenu à l’organisme, assorti d’une vingtaine de lignes pour exposer son histoire.
  • 3) Mettre en forme une frise historique (support libre) retraçant les Présidents, Directeurs et Agents Comptables de votre Caisse de nos jours à la date la plus ancienne possible (avec leur portrait s’ils sont disponibles).

Les inscriptions sont ouvertes à la réception du présent courrier et seront closes le 7 Février 2020. Pour vous inscrire, il vous suffit de nous adresser un mail à l’adresse concours@chsspaca.fr avec le nom et les coordonnées de votre référent et en indiquant en objet «jeu-concours 2020 CHSS PACA». Vos productions devront être restituées au plus tard le 15 septembre 2020.

Un moment de convivialité sera organisé avec tous les participants entre le 1er et le 20 novembre 2020 afin d’exposer les réalisations. Mme Rolande Ruellan, Présidente du Comité national d’histoire de la sécurité sociale, et M. Dominique Libault, Directeur de l’EN3S, seront nos invités pour décerner les lauréats.

En raison de la pandémie de covid-19 et des restrictions qu’elle a entrainées, ces dates ont été reportées.

Téléchargez le courrier d’invitation au concours