Le Souvenir français, institution de mémoire et d’entraide est créée après le traumatisme de la Guerre de 1870 qui voit la perte des «provinces désormais perdues»: l’Alsace et la Lorraine (la Moselle)[1]. Il est créé en 1887 par François-Xavier Niessen (1846-1919), un professeur alsacien installé à Neuilly-sur-Seine. Il développe les associations d’entraide et les sociétés de secours mutuels pour les « exilés » de l’Est. Parallèlement, il élargit ses centres d’intérêt à la sauvegarde de la mémoire des combattants de 1870. En 1887, cette sauvegarde est assurée par deux structures, l’Etat, qui par la loi du 4 avril 1873 a encadré la création d’ossuaires et de tombes, et une association catholique «l’Œuvre des tombes et des prières». Créée par le père Joseph, cette association construit des monuments et des stèles en Allemagne pour sauvegarder la mémoire des prisonniers de guerre français et en France, en particulier en Alsace-Moselle et dans la région parisienne. Elle organise de nombreuses messes en hommage aux combattants.
Entre les gouvernements républicains et l’Œuvre, les relations vont se tendre dans un contexte de mésentente entre l’Eglise et la République. Ainsi le pouvoir politique soutient-il l’action «laïque» de F.X. Niessen.
Dès lors et jusqu’en en 1914, l’association connaît un remarquable développement. En 1900, Le Souvenir Français regroupe 80 000 adhérents dans 854 comités cantonaux. La création de monuments, de stèles et de plaques se multiplie. En 1900 on estime à 2000 le nombre de lieux de mémoire matérialisés par l’association. Le Souvenir Français s’impose également comme l’acteur principal, aux côtes des amicales régimentaires et des premières associations de vétérans de la vie commémorative. Les couronnes en perle du Souvenir Français ornent les monuments des combattants de 1870 dont l’association a encouragé l’érection en soutenant le vote de la loi de 1890 qui a confié aux communes la responsabilité de ces créations.
En 1906, les relations entre le gouvernement et Le Souvenir Français se renforcent. Le Souvenir Français est reconnu d’utilité publique. La même année, le général Picart, ministre de la guerre du gouvernement Clemenceau réunit à Paris, François-Xavier Niessen et Auguste Spinner (1864-1939) peintre et architecte afin de favoriser la création de comités du Souvenir Français en Alsace-Moselle.
La victoire de 1918 rend accessible les tombes des combattants. Les comités du Souvenir Français y apposent alors des cocardes tricolores qui permettent à ces tombes provisoires de s’inscrire pleinement dans l’histoire nationale.
En 1939, on estime à 6 millions le nombre d’adhérents de ces associations. Un adhérent associatif en France sur deux est membre d’une association d’anciens combattants. Un électeur sur trois est un ancien combattant. Bien que la porosité entre Le Souvenir Français et ces associations soit forte, les comités du Souvenir Français perdent la maîtrise de l’organisation des cérémonies patriotiques, en particulier celle de la journée nationale du 11 novembre dont la création a été imposée par le monde combattant à l’Etat en 1922. Le Souvenir Français devient un partenaire du monde combattant. Lors des cérémonies dans notre région à Marseille, Nice, Toulon, Digne ou Gap… des vignettes de bienfaisance et de solidarité pour accompagner l’affranchissement du courrier sont vendues en carnet de 20 exemplaires au prix global modique mais symbolique d’1 fr. sur la voie publique et à l’entrée des cimetières et nécropoles. Elles sont l’œuvre de deux artistes : le dessinateur et graveur parisien Jean Antonin Delzers (1873-1943) et l’architecte alsacien Gustave Umbdenstock (1866-1940). L’allégorie féminine nostalgique brandit la flamme du souvenir sur fond d’un arc de triomphe.
Certes, Le Souvenir Français a pour but premier d’entretenir les sépultures des combattants[2] mais aussi au fur et à mesure des précarités économiques et sociales de venir en aide aux familles des combattants par des conseils, des recommandations d’embauches, des aides aux mineurs…
Cette situation ne connaîtra que peu d’évolution après la Seconde Guerre mondiale et après les guerres d’Indochine et d’Algérie.
Olivier Vernier
[1] Roland Hoyndorf et Willy Schneider, 1870, la perte de l’Alsace-Lorraine, Strasbourg, Coprur, 2000, 83 p ; Pierre Allorant (dir.), 1870, entre mémoires régionales et oubli national : se souvenir de la guerre franco-prussienne, Rennes, PUR, 2019, 297 p.
[2] Pour un exemple des Alpes-Maritimes : Josette Roboldi, Claude Riboldi et Henri Giaume, Mémorial des Contois morts pour la France 1914-1918 édité par le Souvenir français, comité de Contes, La Trinité, Sevac, 2018, 140 p.