Plumes sociales:
Dominique Durandy, Poussières du midi. L’Ane de Gorbio, 1910

Docteur en droit, avocat, conseiller général des Alpes-Maritimes, journaliste et littérateur, le Niçois Dominique Durandy (1868-1920) fut le témoin d’un changement économique et social d’un terroir dénommé depuis 1887 la Côte d’Azur[1]. Ses travaux célèbrent les collines et paysages authentiques de son «pays» le comté de Nice surtout l’intérieur des terres et le haut pays encore soumis aux traditions que le tourisme n’avait pas encore  totalement «dénaturées» (Mon pays, villages et paysages de la Riviera, 1918). Il campa les hôtes de la Riviera (Passants de la Riviera, 1922). Il parodia avec humour les mœurs politiques de cette Troisième république triomphante (La mare ensoleillée, 1911; Marianne en ballade  et autres contes de mon pays, 1923). 

Il fut proche du littérateur provençal académicien français Jean Aicard (1848-1921) l’auteur du picaresque Maurin des Maures (1908), maire de Solliès-ville dans le Var. C’est du reste dans ce département qu’il campe dans Poussières du Midi. L’Ane de Gorbio la procession à Saint-Martin dont l’église est érigée en 1770 au Plan-de-la Tour proche de Sainte-Maxime. L’écrivain niçois rapporte les derniers feux d’une singulière coutume où un mendiant a «un rôle théâtral» et que l’on oblige à feindre de grelotter en plein été. Au delà, D. Durandy prophétise la désertification des campagnes méridionales, ce qu’un géographe Jean-François Gravier  dénommera  en 1947 : Le désert français

Olivier Vernier

Dominique Durandy, Poussières du midi. L’Ane de Gorbio, 1910
Dominique Durandy, Poussières du midi. L’Ane de Gorbio, 1910

Dominique Durandy, Poussières du midi. L’Ane de Gorbio, 1910

[1] Camille Mauclair, « L’art de Dominique Durandy », Rives d’Azur, n°142, 1922, p. 187-189.

Un hommage tardif (2006) à Beaulieu-sur-Mer (06) à un hôte royal britannique bienfaiteur de la commune

La Côte d’Azur, terme forgé en 1887 par l’administrateur et  philanthrope Stéphen Liégeard (qui servit de modèle à Alphonse Daudet pour son sous-préfet aux champs », désigne les communes littorales sur la Méditerranée d’Hyères à Menton. Ses hôtes étrangers cherchèrent des « villégiatures de rêve »[1] et y menèrent des vies d’opulence, de plaisir voir d’excentricité, mais nombre d’entre eux furent sensibles à la détresse de certaines populations précaires que l’enrichissement local oubliait.

Ainsi, pour les britanniques, on peut citer SM le prince Arthur William Patrick Albert, duc de Connaught et de Strathearn, né le 1er mai 1850 à Londres, décédé le 16 janvier 1942 dans le Surrey, troisième fils de la reine Victoria, frère du roi Edouard VII. Époux de la princesse Louise de Prusse, il fut  gouverneur général du Canada de 1911 à 1916. A ce poste, il joua un rôle important en matière de recrutement militaire et de philanthropie au Canada pendant la Première Guerre mondiale. Hôte régulier de Beaulieu-sur-Mer, d’abord à l’Hôtel des Anglais  face à la gare puis  il acquit une villa à Saint-Jean-Cap Ferrat.

Sensible aux  populations précaires, il fit de nombreuses libéralités à la commune, en particulier au bureau de bienfaisance. La commune lui décerna le titre de « citoyen d’honneur » mais ne fit un hommage public  « au bienfaiteur de la commune » que le 7 septembre 2006 en faisant inaugurer la plaque commémorative avec son buste en médaillon de la place qui porte son nom non loin de l’église anglicane Saint Michael, par le prince Edward, duc d’Édimbourg, dernier enfant de la reine Élisabeth II.

Olivier Vernier


[1] Voir Marc Boyer, L’invention de la Côte d’Azur : l’hiver dans le Midi, La Tour-d’Aigues, Ed .de l’Aube, 2001, 378 p.

SM le prince Arthur William Patrick Albert, duc de Connaught et de Strathearn
Plaque mémorielle Place duc de Connaught

Les plumes sociales: L’affaire des vivants

L’affaire des vivants, Christian Chavassieux, Paris, J’ai Lu, 2023, pp. 213-215.

«… Il est un Feigne-Persan, de ceux qui répondent à la crainte respectueuse par une inclinaison du menton. Alma (la mère d’Ernest) lui a expliqué que cela impliquait des devoirs, notamment celui d’être bon avec les indigents. Comme tout est ordonné dans ce monde. Il y a un temps pour faire la démonstration de a bonté. Le jour de charité hebdomadaire est pour le petit Ernest une torture. Il en comprend la fonction tardivement, pendant ses études. L’utilité de ce rituel n’est pas où il l’avait perçue d’abord, pas dans le soutien aux pauvres : elle est tournée vers ceux qui donnent. Ce machiavélisme le réjouit et l’amuse. Mais enfant, alors que ses mollets frémissent dans le froid, sous la coupe de ses culottes courtes, il déteste le défilé du mercredi, la file de miséreux puants et stupides, édentés, sales, voûtés, qui tendent leurs mains pour une obole ou un morceau de pain. Les rôles sont distribués et Alma lui a appris à tenir correctement le sien. Tandis que Marie (une perle embauchée par Alma, Jacotte restant au service d’Hortense) veille à ce qu’aucun pouilleux ne cherche à resquiller, sa mère, au seuil de la porte, dépose une pièce dans la main du «brave» qui se présente et Ernest donne la nourriture, pain et soupe, enrichis, vers Noël, d’une brioche ou d’une pâtisserie qu’Alma s’est donné la peine de faire faire à Marie. Ailleurs, dans la ville, on recense des files semblables devant les autres maisons bourgeoises. Chaque famille de notables a pareillement fait attendre ses pauvres, de façon à ce que la queue soit aussi longue que possible. La longueur des files permet de mesurer la générosité des familles, et ainsi, de hiérarchiser les fortunes. La populace attribue alors son rang parmi les bienfaiteurs. Ce qui a toujours surpris Ernest, c’est la complaisance de tous face à cette comédie, pourtant manifestement odieuse. La naïveté avec laquelle le rituel est admis et encouragé le laisse abasourdi. Il saisit là les arcanes d’une société pour laquelle il aura du dégoût, mais un dégoût supportable. La révolte est pour ceux qui ont l’âme complète. Il semble à Ernest que le seul être qui n’est pas dupe de cette farce est son père. Il n’est jamais là le mercredi, soupire quand Alma lui parle se de ses préparatifs, et ne rentre pas avant que, le soir, tombé, tous les pauvres aient débarrassé le trottoir devant la maison. Plusieurs fois dans les conversations des domestiques, le jeune Ernest a cru comprendre que la famille Persant -les bouseux de Saint-Elme ou certains de ses oncle en tout cas- a autrefois bénéficié de l’aumône des bourgeois, mais on se taisait à son approche, et il a vite perçu que le sujet était déplacé. »

Vaste saga historique et familiale, L’Affaire des vivants, premier roman de Christian Chavassieux est aussi le portrait épique d’un pays au carrefour de la mutation de son histoire sociale. Son héros Charlemagne, force de la nature fera des sillons maigres de la terre du Forez entre 1850-1918 une terre industrielle de la passementerie. Cette histoire est aussi une radiographie de la condition ouvrière d’alors, écrasée par la bourgeoisie des industriels avides de profit, Charlemagne Persant aurait pu être un personnage des Rougon-Macquart ou de la Comédie humaine un Rastignac des tissus, enfant de la République (la Troisième) mû par l’ambition et par la fascination qu’il exerce. Pour la mise en scène cynique de la charité au domicile du bienfaiteur –et non portée au domicile des pauvres-, l’auteur s’est inspiré de l’ouvrage d’Antoine Sylvère, Toinou : le cri d’un enfant auvergnat, Paris, Plon, 1980. Cette charité ostentatoire se retrouve dans notre région à Cannes, Digne ou Apt…

Olivier Vernier

Les plumes sociales : L’affaire des vivants, Christian Chavassieux, Paris, J’ai Lu, 2023

La détresse sociale de la reconstruction d’après-guerre:
Médaille de l’Entraide française

  Après l’instrumentalisation  de l’assistance par le régime de Vichy décrite dans des chroniques antérieures publiées sur notre site, avec le Secours National puissant instrument de propagande  et discriminateur. Il a le monopole des appels publics à la générosité et des subventions de l’État ou des collectivités locales. Le produit de la loterie nationale lui est attribué à partir d’octobre 1940. 

À la Libération, le Secours national, en partie épuré, est transformé en Secours social puis en Entr’aide française. Il va être confronté à deux difficultés majeures : son financement et son passé collaborationniste et cela malgré une réorganisation de fond, d’importantes restrictions budgétaires et la nomination de personnalités prestigieuses à la tête de l’œuvre: Justin Godard, maire de Lyon, homme d’Etat aux préoccupations sociales constantes. La la reprise républicaine de la solidarité est réinstaurée. Structures de transition selon Axelle Brodiez-Dollino[1], des délégations départementales sont organisées et remettent aux bénévoles et aux bienfaiteurs ce type de médaille de reconnaissance gravée par Henry Dropsy (1885-1969). Son allégorie s’incarne dans ces trois hommes s’unissant pour redresser ce chêne symbolisant la France qui se relève. Au revers le logo de l’oiseau nourrissant ses petits au nid est évocateur d’une période de persistance de précarités et de la solidarité privée parallèlement à la création la Sécurité sociale. Un cartouche prévoit la gravure du nom du récipiendaire.

Cette médaille fut remise à un bénévole des Alpes-Maritimes.

Olivier Vernier

La détresse sociale de la reconstruction d’après-guerre : Médaille de l’Entraide française, 1944-1947, Henry Dropsy, bronze, Monnaie de Paris, collection privée.

[1] «  L’Entraide française, structure de transition » in Combattre la pauvreté: Vulnérabilités sociales et sanitaires de 1880 à nos jours, Paris, CNRS, 2013.

Le Souvenir Français au service des vulnérabilités sociales:
carnet de vignettes de bienfaisance à coller sur les courriers

Le Souvenir français, institution de mémoire et d’entraide est créée après le traumatisme de la Guerre de 1870 qui voit la perte des «provinces désormais perdues»: l’Alsace et la Lorraine (la Moselle)[1]. Il est créé en 1887 par François-Xavier Niessen (1846-1919), un professeur alsacien installé à Neuilly-sur-Seine. Il développe les associations d’entraide et les sociétés de secours mutuels pour les « exilés » de l’Est. Parallèlement, il élargit ses centres d’intérêt à la sauvegarde de la mémoire des combattants de 1870. En 1887, cette sauvegarde est assurée par deux structures,  l’Etat, qui par la loi du 4 avril 1873 a encadré la création d’ossuaires et de tombes, et une association catholique «l’Œuvre des tombes et des prières». Créée par le père Joseph,  cette association construit des monuments et des stèles en Allemagne pour sauvegarder la mémoire des prisonniers de guerre français et en France, en particulier en Alsace-Moselle et dans la région parisienne. Elle organise de nombreuses messes en hommage aux combattants.

 Entre les gouvernements républicains et l’Œuvre, les relations vont se tendre dans un contexte de mésentente entre l’Eglise et la République. Ainsi le pouvoir politique soutient-il l’action «laïque» de  F.X. Niessen.

Dès lors et jusqu’en en 1914, l’association connaît un remarquable développement. En 1900, Le Souvenir Français regroupe 80 000 adhérents dans 854 comités cantonaux. La création de monuments, de stèles et de plaques se multiplie. En 1900 on estime à 2000 le nombre de lieux de mémoire matérialisés par l’association. Le Souvenir Français s’impose également comme l’acteur principal, aux côtes des amicales régimentaires et des premières associations de vétérans de la vie commémorative. Les couronnes en perle du Souvenir Français ornent les monuments des combattants de 1870 dont l’association a encouragé l’érection en soutenant le vote de la loi de 1890 qui a confié aux communes la responsabilité de ces créations.

En 1906, les relations entre le gouvernement et Le Souvenir Français se renforcent. Le Souvenir Français est reconnu d’utilité publique. La même année, le général Picart, ministre de la guerre du gouvernement Clemenceau réunit à Paris, François-Xavier Niessen et Auguste Spinner (1864-1939) peintre et architecte afin de favoriser la création de comités du Souvenir Français en Alsace-Moselle. 

La victoire de 1918 rend accessible les tombes des combattants. Les comités du Souvenir Français y apposent alors des cocardes tricolores qui permettent à ces tombes provisoires de s’inscrire pleinement dans l’histoire nationale.

  En 1939, on estime à 6 millions le nombre d’adhérents de ces associations. Un adhérent associatif en France sur deux est membre d’une association d’anciens combattants. Un électeur sur trois est un ancien combattant. Bien que la porosité entre Le Souvenir Français et ces associations soit forte, les comités du Souvenir Français perdent la maîtrise de l’organisation des cérémonies patriotiques, en particulier celle de la journée nationale du 11 novembre dont la création a été imposée par le monde combattant à l’Etat en 1922. Le Souvenir Français devient un partenaire du monde combattant. Lors des cérémonies dans notre région à Marseille, Nice, Toulon, Digne ou Gap… des vignettes de bienfaisance et de solidarité pour accompagner l’affranchissement du courrier sont vendues en carnet de 20 exemplaires au prix global modique mais symbolique d’1 fr. sur la voie publique et à l’entrée des cimetières et nécropoles. Elles sont l’œuvre de deux artistes : le dessinateur et graveur parisien Jean Antonin Delzers (1873-1943) et l’architecte alsacien Gustave Umbdenstock (1866-1940). L’allégorie féminine nostalgique brandit la flamme du souvenir sur fond d’un arc de triomphe.

Certes, Le Souvenir Français a pour but premier d’entretenir les sépultures des combattants[2] mais aussi au fur et à mesure des précarités économiques et sociales de venir en aide aux familles des combattants par des conseils, des recommandations d’embauches, des aides aux mineurs… 
Cette situation ne connaîtra que peu d’évolution après la Seconde Guerre mondiale et après les guerres d’Indochine et d’Algérie.

Olivier Vernier

Carnet de vignettes de bienfaisance à coller sur les courriers, J.A. Delzers et G. Umbdenstock, c. 1930, collection privée.

[1] Roland Hoyndorf et Willy Schneider, 1870, la perte de l’Alsace-Lorraine, Strasbourg, Coprur, 2000, 83 p ; Pierre Allorant (dir.), 1870, entre mémoires régionales et oubli national : se souvenir de la guerre franco-prussienne, Rennes, PUR, 2019, 297 p.

[2] Pour un exemple des Alpes-Maritimes : Josette Roboldi, Claude Riboldi et Henri GiaumeMémorial des Contois morts pour la France 1914-1918 édité par le Souvenir français, comité de Contes, La Trinité, Sevac, 2018, 140 p.

Quand le «recyclage» servait à la charité:
boîte de quête, fin XIXe–début XXe siècle en usage dans les Hautes-Alpes

  L’appel à la générosité publique est ancien en Occident: à l’époque moderne quand l’aide publique est encore sporadique et liée souvent à des épisodes dramatiques (guerres, famines, catastrophes naturelles..), des quêtes sont organisées dans des édifices religieux et des lieux publics[1]en faveur des populations éprouvées.

Des dispositifs permanents : troncs insérés dans des piliers ou boîtes de charité spécialement conçues y sont installées 

Les autorités religieuses et les autorités civiles [2] doivent réglementer ces sollicitations. Aussi, les évêques pour le clergé catholique et les préfets, les sous-préfets et les maires pour les pouvoirs publics autorisent jusqu’à la Séparation des Églises et de l’Etat ces manifestations de charité.

Dans certains lieux des quêtes ont aussi lieu à l’époque contemporaine, sur la voie publique à des endroits «stratégiques» lieux de pouvoirs: mairies, sous-préfectures, tribunaux et bien sûr édifices cultuel et édifices de soins: hôpitaux, bureaux de bienfaisance, dans ces deux derniers lieux, ce sont d’ailleurs les administrateurs, notables bénévoles de la charité qui sollicitent leurs pairs. 

Pour notre région méridionale à la disparité économique longtemps prégnante, une forme originale de ces «troncs portables»  est la transformation d’objets du quotidien, telle cette choppe en métal argentée  (ou argent) en usage dans les Hautes-Alpes avec sa fente sur le couvercle et son cadenas et sa clé qui prévenait toute tentation ou détournement…

Olivier Vernier


[1] Cf. Léon Allemand, Histoire de la charité, T. IV, Les temps modernes, Paris, Picard, 1910, 527 + 624 p. ; Jean-Pierre Gutton (dir.), Les administrateurs d’hôpitaux dans la France e l4Ancien régime : actes des tables rondes des 12 décembre 1997 et 20 mars 1998, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1999, 214 p. 

[2] Jacques Thiriet, Les quêtes et les collectes d’après le droit canonique et le droit français, thèse droit canonique,  Toulouse, Institut catholique, 1931, 147 p.

Vichy et les veuves de guerre:
Henri Dropsy (1885-1969), broche “Pro patria”

Longtemps, le veuvage féminin ne fut pas considéré comme un problème social, et ce, même si pour la femme, la perte de l’époux entraîne bien souvent de lourdes difficultés matérielles : seule une minorité est protégée par les règles du droit civil (contrat de mariage, héritage…). Largement ignorées par les pouvoirs publics, les veuves ne peuvent compter que sur elles-mêmes et sur la solidarité familiale ainsi que, pour les plus démunies d’entre elles, sur la charité ou sur l’assistance publique.

Certes, on constate que depuis la fin du XIXe siècle se développe une protection dérivée de la veuve à travers la technique des pensions instaurées par les lois de 1831 et 1853. Ce système repose sur plusieurs critères : la durée du mariage, la présence ou non d’enfants à charge, l’existence ou l’absence de ressources suffisantes. Avec la Première guerre mondiale, le veuvage féminin est mis sur le devant de la scène et des mesures particulières d’assistance sont prises pour les veuves de guerre : emplois réservés, formation professionnelle, amélioration de la législation des pensions… Parallèlement, la protection dérivée de celles qu’on appelle par opposition les veuves civiles continue son expansion et se perfectionne, mais de façon dispersée dans un contexte économique difficile ; la protection sociale de la veuve restant bien souvent instrumentalisée avec la poursuite d’autres objectifs que celui de lui assurer des moyens d’existence décents. »[1]

 Si la première guerre mondiale conduit à la visibilité des associations de veuves de guerre, c’est la Seconde guerre avec le régime de Vichy qui leur donne une place prééminente et symbolique[2] : elles assistent aux cérémonies nombreuses de l’Etat français, arborant, leur broche -qui comme tous les insignes contemporains-, doivent être autorisés. A l’avers : une veuve assise drapée à l’Antique entourée des symboles des disparus : casque et  palmes. Au revers figure la francisque et « Hommage du Maréchal à celles qui donnèrent leur mari et leurs fils à la patrie, 1914-1918 et 1939 -1940 », d’autres insignes dûs à la maison Arthus Bertrand arborent la flamme de la France sur fond tricolore. 

Henri Dropsy (1885-1969), broche « Pro patria », bronze argenté, 29,6 mm, 1942, collection privée

            Cette  broche appartenait à une veuve des Hautes-Alpes.     

Dès 1946, le Gouvernement provisoire de la République promulguera une loi visant à la création d’un insigne spécial pour les mères, les veuves et les veufs des « Morts pour la France », en témoignage de reconnaissance de la nation française Une commission spéciale fut chargée d’étudier les modalités de création de l’insigne, dont les caractéristiques furent définies par le décret du 15 avril 1947. De nos jours, cet insigne sans ruban, appelé depuis 2005 Insigne des parents, conjoints survivants ou partenaires survivants des « Morts pour la France », est toujours régi par le “Code des pensions militaires d’invalidité et des victimes de guerre” art.10.

Olivier Vernier


[1] Christel Chaineaud, La protection sociale contemporaine de la veuve : 1870/1945, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2012, 368 p. Voir aussi :  Peggy Bette, Veuves françaises de la Grande guerre : itinéraires et combats, Bruxelles, Peter Lang, 2017, 325 p.

[2] Voir Michèle Bordeaux, La victoire de la famille dans al France défaite : Vichy-1940-1944, Paris, Flammarion, 2002, 394 p.

Les casiers sanitaires des locaux scolaires à l’issue de la Guerre 

 A l’issue de la Seconde guerre mondiale où les corps et les esprits ont été marqués profondément, le secteur médico-scolaire doit se reconstruire. L’inspection médicale des écoles organisée sous la Troisième République en 1893 avec des délégués cantonaux dépendant des bureaux d’hygiène[1] et dont l’action est amplifiée sous le régime de Vichy, a aussi pour but de prévenir les pathologies sociales[2]:

Des fiches sanitaires individuelles sont établies et les locaux inspectées (avec les casiers sanitaires dénommés de nos jours cabines sanitaires mais parfois de façon sommaire : c’est le cas de l’école mixte Saint-Marcellin de  la petite commune de Châteauroux dans les Hautes-Alpes. Le  casier sanitaire est inspecté le 28 avril 1948 ; aucun personnel de nettoyage mais « l’impression générale sur l’état des bâtiments scolaires est bonne », mais il est nécessaire d’installer l’eau dans un lavabo (au lieu du sceau et du broc..) et l’absence de clôture des locaux constitue un «danger  ; toutefois aucune maladie épidémique alors en recrudescence, n’est constatée (de la rougeole à la typhoïde et des oreillons à l’impétigo). Il faut dire que l’air alpin proche d’Embrun y est « sain » et les populations exogènes rares dans cette commune très peu dense (825 h. en 1946). En 1996, elle deviendra Châteauroux-les-Alpes.

Olivier Vernier

Les casiers sanitaires des locaux scolaires à l’issue de la Guerre : l’inspection de l’école mixte de Châteauroux, Hautes-Alpes, 1948, collection privée

[1] Dominique Desse, Un bicentenaire oublié : la médecine scolaire en France ou deux siècles de luttes incertaines, thèse, Médecine, Caen, 1993, slnp.

[2] Cf. Henri Rouèche, Problèmes médico-sociaux, Paris, Masson, 1947, 32 p.

Aux origines des retraites : médaille d’ancienneté de la Caisse nationale des retraites du  Ministère du Commerce et  de l’Industrie

La  «complexe» réforme actuelle des retraites nous ramène  aux étapes antérieres . De la fin du XIXsiècle et jusqu’au milieu du XXe sont élaborées de nombreuses tentatives de mises en place de régimes de retraite pour les salariés. Elles achoppent principalement en l’absence de contrainte en cas de non-versement de cotisations, la Cour de cassation annulant le caractère obligatoire de ces dispositions.

Certaines professions finissent par obtenir des droits à la retraite : sous la Seconde république en 1850, les premières compagnies privées de chemins de fer fondent t des caisses de retraite pour certains de leurs employés (c’est la création des régimes spéciaux[1])

En 1894, le pénible monde de la mine obtient, dans un cadre obligatoire, un régime de retraite Il est suivi en 1897,  période de militarisation, par les travailleurs des arsenaux et de l’armement et en 1909 pour tous les cheminots des différentes compagnies ferroviaires, système financé par les employeurs et garanti par l’Etat[2].

Le principe d’obligation qui sous-tend la législation  d’alors coexiste avec la liberté du choix de la caisse qui peut être la CNRV, une caisse patronale ou une caisse syndicale agréée. La Caisse nationale des retraites pour la vieillesse (CNRV), réformée en 1886, est contrôlée par une commission de surveillance qui comprend 50 % de hauts fonctionnaires ministériels, 25 % de parlementaires et 25% de présidents de sociétés de secours mutuels et de personnalités du monde industriel.

C’est le graveur de la Monnaie de Paris Alfred Borrel (1836-1927) qui élabore cette médaille en bronze (on connaît des frappes en argent, vraisemblablement selon la durée des fonctions des administrateurs) avec à l’avers son effigie classique de la République et au revers la légende. C’est une médaille d’ancienneté pour le personnel masculin comme féminin de cette caisse de retraite lorsqu’ils prennent leurs propres retraites.., comme c’est le cas de cet agent d’origine du Sud-Ouest.

Olivier Vernier

Médaille d’ancienneté de la Caisse nationale des retraites du  Ministère du Commerce et  de l’Industrie, bronze, 1905, collection privée.


[1] Michel Pigenet, Retraites : une histoire des régimes spéciaux, Paris, ESF, 2008.

[2] Gilles Pollet et Didier Renard, « Genèses et usages de l’idée paritaire dans le système de protection sociale français »Revue française de science politique, 1995, no 4, p. 545-569,

Médaille de table de l’Action sociale des Armées

Aux débuts de la Troisième République, en 1873, la loi du 24 juillet, crée 18 régions militaires métropolitaines dont la 15e: Marseille. La réorganisation d’après la Seconde Guerre Mondiale intervient par le décret du 18 février 1946 et maintient la 9e région militaire à Marseille. Puis avec l’évolution de l’organisation administrative, le pays est divisé en circonscriptions administratives régionales (1963), régions administratives sous l’autorité d’un préfet de région. L’organisation militaire se calque sur  l’organisation administrative et à chaque CAR correspond une division militaire territoriale (DMT). Sur le plan défense, ces divisions militaires territoriales sont regroupées en régions militaires. Les trois armes (rejointes par la gendarmerie rattachée en 2009 au ministère de l’Intérieur) sont présentes dans notre région.

Service ministériel, organisé au début de la Ve République, la Direction de l’Action Sociale des Armées (DASA) est l’instrument privilégié du processus visant l’amélioration des conditions sociales et matérielles d’existence, l’encadrement socio-éducatif et économique des familles. Elle intervient dans tous les domaines et à tous les niveaux du commandement pour assurer une protection sociale par la prévention et la prise en compte des problèmes sociaux des personnels et de leurs familles.

Parallèlement à l’action de l’organisation sociale militaire[1], des associations et des fondations jouent un rôle  notable. Ainsi, depuis 1936 et le Front populaire, la Fondation des Œuvres Sociales de l’Air est une fondation d’entraide et de solidarité qui œuvre pour l’ensemble du personnel  (présent à Salon-de-Provence (13), Le Cannet des Maures (83) ou  Roquebrune-Cap Martin (06) et leur famille en difficulté à la suite d’un accident de l’Air. En 1939 avec la «drôle de guerre»,, l’Association pour le développement des œuvres sociales de la Marine (ADOSM-Entraide Marine) très active à Toulon comme à Villefranche-sur-Mer vient en aide aux familles de marins lorsqu’elles sont touchées par le deuil, la blessure grave, les difficultés d’ordre social. Elle accorde des aides aux jeunes enfants orphelins, des bourses d’études aux collégiens, lycéens et étudiants, des stages de reconversion aux conjoints veufs, des stages de reconstruction aux marins gravement blessés et des secours aux familles en difficulté. Face à l’absence de couverture sociale au profit des militaires de terre et de leur famille, et sur inspiration mutualiste l’association pour le developpement des œuvre d’entraide dans l’armée (ADO), est créée sous l’impulsion du ministre de la Guerre, le 13 janvier 1939, elle est d’emblée reconnue d’utilité publique et œuvre pour le personnel militaire et civil de l’armée de Terre et des services communs, en activité ou retraité. 

Quant à la Fondation Maison de la Gendarmerie, elle  agit depuis 1944 au profit de tous les personnels de la gendarmerie et de leurs familles, confrontés à des situations de détresse lors de drames humains  et sociaux tels que le décès, la blessure, la maladie et le handicap.

La médaille est offerte aux personnels de l’Action sociale des armées. Elle reprend l’insigne interarmes du service et est due à la firme parisienne Drago qui fut d’abord niçoise.  Joseph Séraphin Drago, né à Nice en 1883, se passionne pour l’art de la gravure sur métaux. Il crée son atelier-entreprise de graveur-éditeur dès 1920 à Nice avec une succursale à Paris. Il se spécialise dans l’art de l’insigne militaire et des signes d’appartenance : des objets d’artisanat qui associent l’art de la gravure à celui de l’émail à chaud. En 1948, Charles Emile Drago, le fils de Joseph reprend l’atelier familial et s’installe à Paris, au plus près des grands corps d’armée français, dont il continue à créer les insignes.

Olivier Vernier

Médaille de table de l’Action sociale des Armées, bronze argenté, Paris ; Drago, c.1970, collection privée

[1] Service Historique de la Défense : GR 1 R : Archives de la cellule-Affaire de personnel des armées (APA) du cabinet du ministre de la Défense, 1960-2002.