Une entraide et une fraternité professionnelle précurseures: la société mutualiste “La Fraternelle des Cuisiniers de Nice et des régions saisonnières”

Les métiers de la cuisine sont en Europe des métiers souvent ignorés, voir méprisés mais pénibles en raison des conditions de travail car ils sont soumis aux extrêmes chaleurs et aux chambres froides et confrontés à de nombreuses blessures et accidents en raison de «la pression des fourneaux»: chutes sur des sols glissants, coupures, brûlures dues aux projections de liquides aux yeux et au visage et sur les membres. 

Une partie des inventeurs et des exécutants de la cuisine dite «domestique» quitte châteaux et demeures bourgeoises dans la seconde partie du XIXsiècle pour s’établir à leur compte. C’est le siècle, par excellence, «du mangeur» selon l’analyse de Jean-Paul Aron[1].

Ces travailleurs de la cuisine professionnelle[2] qui se développent à partir du XIXe siècle à Paris et dans les capitales régionales, dans les palaces, les cuisiniers, des chefs de cuisine aux apprentis, prennent conscience de la nécessité d’une protection sociale. D’ailleurs, «l’inventeur de la cuisine moderne »: Auguste Escoffier (1846-1935)[3]œuvrera dans ce domaine d’action sociale.

Certains s’organisent et le font à compter du développement de la mutualité avec la Charte de la Mutualité de 1898. Par définition, les chefs – qui ne sont pas encore devenus, pour certains «étoilés» – grâce aux guides gastronomiques- comme le seront leurs héritiers et leurs héritières (dont les « mères lyonnaises ») du siècle suivant- sont souvent individualistes mais ils savent organiser une entraide et une prévoyance entre eux et vis-à-vis de leurs nombreux personnels qu’il faut fidéliser.

C’est le cas à Nice avec cette Fraternelle qui a l’originalité de réunir des cuisiniers exerçant localement, mais aussi, dans des régions saisonnières (Normandie: Deauville; Le Touquet. Vichy; les stations de cure vosgiennes: Vittel, Contrexéville; Biarritz…). Parfois, même, ils «font les saisons» en Grande-Bretagne, Suisse, Autriche ou Italie… C’est qu’en effet les chefs de cuisine partent avec leurs brigades entières «faire la saison» avant de revenir à Nice, Cannes, Menton… D’ailleurs, un unique document photographique servait alors de «certificat de travail» original : la photo de la brigade devant le palace avec un panneau précisant le lieu et la date[4].

Si des accidents surviennent lors de ces «saisons», la société de secours mutuels La Fraternelle, la première de France dans ce secteur d’activités puisque fondée en 1878, lorsque la ville devient une destination hivernale prisée, prend en charge les soins locaux (pharmaceutiques et médicaux, voir hospitaliers) et parfois le rapatriement. Elle incite aussi les travailleurs à se constituer des retraites complémentaires dans des milieux professionnels où les salaires restent (et resteront) encore souvent limités. Elle se charge aussi de servir de «bureau de placement».

Ce diplôme tardif (1954) récompense un cuisinier administrateur niçois méritant.

Olivier Vernier

Diplôme d’honneur de la société mutualiste La Fraternelle des Cuisiniers de Nice et des régions saisonnières, 1954, collection privée

[1] Jean-Paul Aron, Le Mangeur du XIXe siècle, Paris, Denoël, 1976, 310 p.

[2] Loïc Bienassis, La grande histoire de la gastronomie, Paris, Larousse, 2024, 255 p, 

[3] Le Musée Escoffier de l’Art Culinaire à Villeneuve-Loubet (06) consacre une exposition permanente à l’action humaniste du chef dans la mutualité, la prévoyance et la lutte contre le paupérisme.

[4] L’anecdote nous fut rapportée par un hôtelier grassois Émile Litschgy: La vie des palaces: hôtels de séjour d’autrefois, Spéracèdes, TAC motifs, 1997, 352 p.

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