Les complémentaires santé: livret de sociétaire de la Caisse chirurgicale mutualiste des Basses-Alpes

 Dès la loi de 1898, avec la  «Charte de la Mutualité» sont prévues des caisses mutualistes de soins. Elles sont bien rares au début et ne peuvent être créées que dans des régions de forte industrialisation (Paris, Lyon, Est..) avec une importante population de salariés et des salaires ouvriers et employés plus conséquents pour permettre  de verser les cotisations. Avec les progrès de la médecine et en particulier des actes chirurgicaux aux effets financiers souvent importants  pour les patients, -d’autant que s’il existe parfois des médecins de la mutuelle, il y a très rarement des chirurgiens-, les cliniques mutualistes sont rares: elles naissent en 1910 et pour notre région à Marseille en 1927[1] ; elles se développent sous le Front populaire[2] en 1936 puis après la Seconde Guerre mondiale et ses tragiques conséquences pour la santé de la population. Néanmoins, les opérations chirurgicales sont soumises à une procédure administrative «rigoureuse».

C’est le cas à Digne, dans les Basses-Alpes d’alors. La Caisse chirurgicale Mutualiste d’un des départements les plus pauvres de France est créée en 1933 approuvée par arrêté ministériel. Avant de bénéficier des «avantages de la Caisse, l’adhérent (en l’occurrence) l’adhérente qui a besoin d’une opération» doit satisfaire à un stage, terme singulier pour signifier cinq années de cotisation avant toute opération de chirurgie. 

La procédure n’est ni simple ni automatique. Il doit en effet, dans les trois jours avant l’opération, remplir des obligations «drastiques»:
1°Faire connaître au chirurgien et à la clinique sa qualité de membre de la Caisse
2° Verser la somme nécessaire pour compléter les cinq années de cotisation à dater du jour de l’admission
3°Adresser à la Caisse un certificat médical s’il doit subir une intervention « dans un établissement non agréée ou hors des limites du département » (on songe à Marseille, Nice, Grenoble..)
4° Prendre en charge le supplément en cas de chambre particulière
La démocratisation viendra lors des «Trente glorieuses».

Olivier Vernier

Livret de sociétaire de la Caisse chirurgicale mutualiste des Basses-Alpes, Digne, Vial, 1950-1969, 8 p., collection privée

[1] Voir Olivier Faure, Les cliniques privées. Deux siècles de succès, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2012, 281 p. ; Charlotte Siney-Lange, La Mutualité, grande semeuse de progrès social. Histoire des œuvres sociales mutualistes (1850-1976), Paris, La Martinière, 2018, 397 p.

[2] Pour un exemple septentrional : Daniel Gourdet, La Mutuelle de Seine-et-Marne 1936-2002: voyage au coeur de la Mutuelle au kangourou, Montigny-sur-Loing, Prem’edt, 2013, 252 p.

Plumes sociales : Marceau Jouve (Lou Jouven), (1885-1950), Parpello d’Agasso. Poèmes provençaux suivis de deux contes, Montpellier, 1955. 

Les félibres sont des auteurs poètes et prosateurs, qui dans la tradition de Frédéric Mistral et de Joseph Roumanille depuis 1854 écrivent en langue d’oc, en l’occurrence en provençal. Au XXe siècle, le mouvement littéraire s’organise[1] et des auteurs célèbres ou moins, usent de la langue méridionale pour exprimer leurs talents, leurs espoirs et leurs espérances culturelles et sociales. C’est le cas de Marceau Jouve originaire de Rognac (13). D’abord brillant militaire, décoré de la Légion d’honneur il s’installe après la Grande guerre au Mas de Bonhomme à Saint-Martin-de-Crau (13). Sa vie entière, ce notable al se consacre à la défense du monde agricole et à l’amélioration de la condition paysanne en particulier de ses membres les plus précaires économiquement. En décembre 1947, dans son poème Frejoulino (Froidure), il écrit: «.. Je pense aux pauvres gueux  qui n’ont pas de maison, qui gisent en des lieux ouverts aux quatre vents, et s’endorment gelés, sans une couverture. Je me dis que la vie est dure au malheureux,- au paria qui fut vaincu par la nature.…» Le poème  Pou (Peur) évoque les peurs contemporaines: «L’homme dont l’atelier est en chômage ou qui du labeur du demain n’a plus l’assurance, triste à son logis, est mécontent quand il le quitte, Mon homme , pourquoi cette peur? J’ai peur de l’esclavage.»

Les organisations agricoles (Syndicat de défense des foins de Crau, Fédération départementale des associations agricoles des Bouches-du-Rhône qu’il fonde et dirige) l’occupent grandement; en 1949, il devient président de la Chambre d’Agriculture du département et en 1950, auditeur des comptes à la Caisse d’épargne départementale. Fixé à Cannes en 1940, il rejoint en 1943 Plan-de-Cuques (13).

Animateur du journal de la Fédération: Les Bouches-du-Rhône agricoles, il y publie des poèmes et contes en provençal. Il collabore également au Méridional dans la chronique aixoise sus la rubrique A touto zuerto (A toute allure) et fonde à Plan-de-Cuques l’école félibréenne Lou Grihet (Le grillon). 

Pour rendre hommage à ce dirigeant, «fidèle à sa langue, comme il avait été fidèle à sa terre», la Fédération rassemble en 1955 en version bilingue un recueil de ses poèmes et de ses contes titré modestement Parpallo d’Agasso (Détails) avec des bois gravés de Louis Jou, peintre, graveur et typographe (1881 – 1968), installé aux Baux.

Dans un style élégiaque et avec des images qui allient réalités contemporaine d’une Provence en mutation économique et sociale et nostalgie du temps passé de sa jeunesse dans une Provence rhodanienne «éternelle», avec jovialité et truculence, il décrit dans ce conte humoristique «Une belle couvée» –digne des histoires normandes du siècle antérieur, sous la plume d’un Guy de Maupassant- une scène de naïveté -vraie ou feinte- de certains paysans en précarité mais peu enclins au travail…

Olivier Vernier


[1] Voir la somme de René Jouveau, Histoire du félibrige, Nîmes, Bene, 1970-1987, 514 +401 p. ; Philippe Martel, « Félibres et félibrige : 1876-1947, radioscopie d’une organisation », Cahiers de recherches  Université de Paris VIII-Vincennes, série 6, n° 1,  1984, 54 p.

ADIEU A NOTRE AMI MARCEL CHAPAPRIA (1941- 2024)

Nous avons le devoir bien triste, d’évoquer le souvenir d’un « pilier » de notre Comité, disparu des suites d’une brutale hémorragie cérébrale, le 29 avril dernier : notre fidèle et dévoué administrateur et membre du bureau Marcel Chapapria. Il nous apporta pendant de nombreuses années sous les présidences de Charles Bonifay, de Marie-Thérèse Dumas-Gosselin et de Mourad Belaïd ses compétences reconnues sur les institutions et la vie sociale de Marseille, sa gentillesse permanente, sa chaleur humaine, son humour affiné et sa sagesse proverbiale.

Marcel incarnait le parfait «honnête homme» au sens du Grand siècle et cultivait les vertus de la Respublica, ses multiples engagements administratifs, associatifs, patriotiques, altruistes l’attestaient.

Pour lui, le devoir de mémoire sous ses diverses formes, le préoccupait en permanence et c’est dans cet esprit qu’il voulut bien travailler à nos côtés à notre mission historique pour mieux faire connaître le passé et les institutions sociales de notre vaste région.

Marcel né le 13 avril 1941 à Sidi Bel Abbés, arriva à Marseille en 1962 et y fondera l’année suivante une famille. Fils de légionnaire, il sera toujours attaché à ce corps d’élite en étant notamment correspondant auprès des «képis blancs» hospitalisés à la Timone et la Conception. Il s’investit d’ailleurs particulièrement dans l’Association des anciens Combattants et amis de la Légion étrangère de Marseille qui lui rendirent à la chapelle du funérarium du cimetière Saint-Pierre l’hommage qui lui revenait de droit lors de ses obsèques le 4 mai dernier.

Entré à la CPAM comme caissier et agent payeur, il en gravit tous les échelons administratifs et au terme de 39 années d’activités professionnelles, sociales et de services militaires, il reçoit en 2002 au titre du Ministère de l’emploi et de la solidarité l‘insigne de chevalier de l’Ordre  National du Mérite et en sera promu au titre du Ministère des armées officier en 2023. Il s’était investi en effet dans le mouvement associatif régional et national des  anciens combattants et victimes de guerre des organismes sociaux dont il fut président.

Très attaché aussi aux institutions mutualistes, il fut notamment administrateur du Centre Dentaire de Marseille; cet ami à l’écoute de toutes les détresses siégea aussi comme assesseur titulaire des tribunaux pour enfants à Marseille. 

Marcel était aussi un passeur de mémoire, avec son réel talent de plume, il tint, à compter de 2013 la chronique dominicale des Bouches-du-Rhône des anciens combattants pour La Provence et pour Mémoire vives de la Résistance. Des textes ciselés « pour ne pas oublier ». Pour notre Bulletin, il offrit  trois textes rappelant ses engagements: «Témoignage: L’emploi de caissier: un métier qui a disparu», 2018; «Le Bleuet de France, symbole de la mémoire et de la solidarité pour les anciens combattants, les victimes de guerre, les veuves et les orphelins », 2021; «Les 100 ans d’existence du Centre Dentaire de Marseille (1922-2022), 2022.

Sa mémoire demeurera dans nos cœurs et nos esprits.

Pour le bureau du Comité

Olivier Vernier

La protection infantile à Marseille: médaille de la Société protectrice de l’enfance

 A la fin du XIXe siècle, la prospérité économique de Marseille –ce que l’on a appelé «Rêves et triomphes d’une ville»,  avec ses multiples  et diverses activités économiques ne bénéficie pas à toutes et à tous, la précarité demeure dans le cœur historique des vieux quartiers nord autour du port avant qu’au siècle suivant les cruels dynamitages, évacuations (20 000 habitants) et déportations de population[1] ne soient décidés les 22, 23 et 24 janvier 1943.

Aussi la mortalité infantile est si élevée[2]  (plus forte que d’un sixième que dans toute autre ville de France) que des médecins s’en émeuvent tels Sélim-Ernest Maurin, né à Paris en 1838 et diplômé de Montpellier en 1861, spécialiste de la lutte contre le choléra ; il anime le Comité médical des Bouches-du-Rhône et appelle de toute sa science la création d’une Société protectrice de l’Enfance.

La réponse positive vient des notables marseillais femmes comme hommes (dont des professionnels de santé : médecins et pharmaciens) : ils décident de fonder une association pour aider matériellement et moralement les familles, françaises comme étrangères, avec enfants. Des aides alimentaires sont prodigués, des conseils d’hygiène pour les nourrices  (car les mères doivent travailler) mais aussi, sont instaurés pour les adultes et les enfants des cours dont des méthodes de lecture, comme pour cette médaille attribuée  pour méthodes de lecture». L’avers arbore les armes de Marseille et le ruban  bleu et blanc est en référence aux armoiries de la ville.

Médaille de la Société protectrice de l’enfance, bronze argenté, c. 1880, collection privée

Les pouvoirs publics l’encouragent au point que dès 1876, elle est aidée et contrôlée[3]. En 1883, elle organise dans la capitale phocéenne une exposition et publie même un journal « Le Bébé ».

Elle subsiste jusqu’à la Grande guerre.

Olivier Vernier


[1] Cf. Michel Ficetola, La Rafle du Vieux-Port, Marseille, Massaliotte Culture, 2019, 23 p.

[2] Sélim-Ernest Maurin, Marseille au point de vue de l’hygiène et de la statistique médicale, Marseille, Roux, 1864, 192 p. ; Dr. Sélim-Ernest Maurin, «De la mortalité des enfants en bas âge à Marseille», Sté de statistique Marseille, p.252- 288.

[3] Dr. E. Maurin, Projet de règlement d’administration publique relative à la protection du premier age proposé à la société protectrice de l’enfance de Marseille, Marseille, Cayer, 1876, AD Bouches-du-Rhône, Delta, 2670 6.

Ne pas oublier les aînés: 40e anniversaire de la fondation des Petits frères des Pauvres par Albert Marquiset

                 Les récentes révélations qui concernent le fondateur d’une grande œuvre caritative ne doivent pas occulter d’autres actions fraternelles. Pendant longtemps, en Occident, les vieillards impécunieux étaient laissés à la charge des familles[1] ou d’établissements «quasi» carcéraux comme les hospices[2]. A l’époque contemporaine, Les dispositifs mis en place, fondés sur l’assistance ou l’aide sociale, ont toujours été déficients. Longtemps assimilées aux grands infirmes ou aux handicapés, les personnes âgées ont perdu les bénéfices de la politique du handicap à la fin du XXe siècle.                 

                 Le maintien à domicile[3] est une solution que l’action privée élabore dès le XIXe siècle dans des villes comme Nice ou Marseille, mais c’est au XXe siècle qu’un philanthrope[4]: Albert Marquiset fonde, au sortir de la Guerre,  une association de solidarité envers les aînés «à qui l’on doit des fleurs avant le pain»: Les Petits frères des pauvres.

                 Le comte Armand Marquiset, né le 29 septembre 1900 à Gagny, appartient à un milieu d’origine aristocratique. Il fréquente les meilleurs établissements scolaires puis, à 19 ans, choisit d’étudier la musique pour devenir compositeur. En 1930, il découvre dans les rues de Paris ce qu’ est la pauvreté et la détresse des autres dont de  «nombreux vieillards obligés de mendier ou faire les poubelles ou d’attendre les fins de marchés pour subvenir». Dans le même temps, il accomplit un parcours spirituel personnel qui l’amène à s’interroger sur le sens de sa vie. Il interrompt ses activités musicales et décide de se consacrer aux pauvres. Il écrit qu’en juillet 1939, à Notre-Dame de Paris, «… il eut l’impression que les petits frères fondirent littéralement sur lui et qu’ils entrèrent en lui comme un ouragan.» La guerre éclate et son projet est retardé. Le 19 avril 1946, il déclare à la préfecture de police de Paris l’association Les petits frères des pauvres. «’association a pour objectif d’accompagner les personnes souffrant de pauvreté, de solitude ou de maladie, en particulier les plus de 50 ans» 

                 Devenus progressivement un mouvement plus laïcisé, Les Petits frères des pauvres accompagnent des personnes souffrant d’isolement, de pauvreté matérielle, de précarités multiples. Elle est implantée dans toute la France et dans le monde (Allemagne, Canada, Espagne, États-Unis, Irlande, Mexique, Pologne et Suisse). La Fondation des petits frères des Pauvres a été créée et reconnue d’utilité publique en 1977. En 1979 est fondée une Fédération internationale des Petits frères des pauvres. 

Médaille commémorative de Raymond Corbin (1907-2002), pour le 40e anniversaire de la fondation des Petits frères des Pauvres par Albert Marquiset (1900-1981), bronze, 1986, collection privée

                 En 1986, une médaille représentant à l’avers le fondateur et le revers symbolisant l’aide intergénérationnelle (une jeune fille et un couple de personnes âgées) des Petits frères des pauvres est gravée . Elle fut offerte à une bienfaitrice de Villefranche-sur-Mer qui nous fut chère.

Olivier Vernier


[1] Georges Minois, Histoire de la vieillesse en Occident. T.1 De L’Antiquité à la Renaissance, Paris, Fayard, 1987, 442 p.

[2] Christophe Capuano, Que faire de nos vieux : une histoire de la protection sociale de 1880 à nos jours, Paris, Sciences po, les presses, 2018, 345 p.

[3] Christophe Capuano, Le maintien à domicile : une histoire transversale, France, XIXe-XXIe siècle, Paris, Rue d’Ulm, 2021, 1112 p.

[4] Armand Marquiset, Armand Marquiset, 1900-1981, Paris, Frères du ciel et de la terre, 1981, 107 p. ; Michel Christolhomme, La soif de servir : Armand Marquiset, 1900-1981, Paris, Fayard, 1998, 266 p.

Médaille d’honneur d’administrateur de la caisse d’épargne et de prévoyance de la succursale ciotadenne de Marseille

                  Dès 1622, des chantiers navals sont installés au port de pêche de La Ciotat. C’est au milieu du XIXe siècle, sous la monarchie de Juillet que des chantiers sont développés. En 1835, le ciotaden Louis Benet s’associe aux ingénieurs maritimes les Vence pour construire des navires à coque métallique et à propulsion à vapeur. En 1851, la puissante compagnie Les Messageries nationales qui créent avec l’armateur marseillais Albert Rostand la Compagnie des Messageries maritimes décident d’utiliser le lieu industriel pour faire construire les navires de leur flotte. En 1870, les chantiers ciotadens emploient trois mille cinq cents ouvriers, ouvriers pour lesquels fut construite en 1853 une des premières cités ouvrières méridionales du pays.

            La caisse d’épargne et de prévoyance des Bouches-du-Rhône à Marseille accompagne ce développement économique qui contribue à employer de nombreux ouvriers. Elle ouvre une succursale à La Ciotat et  honore ses administrateurs bénévoles de médailles d’honneur en argent, ainsi Jean Bonifay, -lointain ancêtre de notre président fondateur- siège de 1840 à 1870. L’avers représente le buste de l’empereur Napoléon III.

Olivier Vernier

Alphée Dubois (1831-1905), graveur, médaille d’honneur d’administrateur de la caisse d’épargne et de prévoyance de la succursale ciotadenne de Marseille, 1870, argent, collection privée.
Alphée Dubois (1831-1905), graveur, médaille d’honneur d’administrateur de la caisse d’épargne et de prévoyance de la succursale ciotadenne de Marseille, 1870, argent, collection privée.

Plumes sociales:
Dominique Durandy, Poussières du midi. L’Ane de Gorbio, 1910

Docteur en droit, avocat, conseiller général des Alpes-Maritimes, journaliste et littérateur, le Niçois Dominique Durandy (1868-1920) fut le témoin d’un changement économique et social d’un terroir dénommé depuis 1887 la Côte d’Azur[1]. Ses travaux célèbrent les collines et paysages authentiques de son «pays» le comté de Nice surtout l’intérieur des terres et le haut pays encore soumis aux traditions que le tourisme n’avait pas encore  totalement «dénaturées» (Mon pays, villages et paysages de la Riviera, 1918). Il campa les hôtes de la Riviera (Passants de la Riviera, 1922). Il parodia avec humour les mœurs politiques de cette Troisième république triomphante (La mare ensoleillée, 1911; Marianne en ballade  et autres contes de mon pays, 1923). 

Il fut proche du littérateur provençal académicien français Jean Aicard (1848-1921) l’auteur du picaresque Maurin des Maures (1908), maire de Solliès-ville dans le Var. C’est du reste dans ce département qu’il campe dans Poussières du Midi. L’Ane de Gorbio la procession à Saint-Martin dont l’église est érigée en 1770 au Plan-de-la Tour proche de Sainte-Maxime. L’écrivain niçois rapporte les derniers feux d’une singulière coutume où un mendiant a «un rôle théâtral» et que l’on oblige à feindre de grelotter en plein été. Au delà, D. Durandy prophétise la désertification des campagnes méridionales, ce qu’un géographe Jean-François Gravier  dénommera  en 1947 : Le désert français

Olivier Vernier

Dominique Durandy, Poussières du midi. L’Ane de Gorbio, 1910
Dominique Durandy, Poussières du midi. L’Ane de Gorbio, 1910

Dominique Durandy, Poussières du midi. L’Ane de Gorbio, 1910

[1] Camille Mauclair, « L’art de Dominique Durandy », Rives d’Azur, n°142, 1922, p. 187-189.

Un hommage tardif (2006) à Beaulieu-sur-Mer (06) à un hôte royal britannique bienfaiteur de la commune

La Côte d’Azur, terme forgé en 1887 par l’administrateur et  philanthrope Stéphen Liégeard (qui servit de modèle à Alphonse Daudet pour son sous-préfet aux champs », désigne les communes littorales sur la Méditerranée d’Hyères à Menton. Ses hôtes étrangers cherchèrent des « villégiatures de rêve »[1] et y menèrent des vies d’opulence, de plaisir voir d’excentricité, mais nombre d’entre eux furent sensibles à la détresse de certaines populations précaires que l’enrichissement local oubliait.

Ainsi, pour les britanniques, on peut citer SM le prince Arthur William Patrick Albert, duc de Connaught et de Strathearn, né le 1er mai 1850 à Londres, décédé le 16 janvier 1942 dans le Surrey, troisième fils de la reine Victoria, frère du roi Edouard VII. Époux de la princesse Louise de Prusse, il fut  gouverneur général du Canada de 1911 à 1916. A ce poste, il joua un rôle important en matière de recrutement militaire et de philanthropie au Canada pendant la Première Guerre mondiale. Hôte régulier de Beaulieu-sur-Mer, d’abord à l’Hôtel des Anglais  face à la gare puis  il acquit une villa à Saint-Jean-Cap Ferrat.

Sensible aux  populations précaires, il fit de nombreuses libéralités à la commune, en particulier au bureau de bienfaisance. La commune lui décerna le titre de « citoyen d’honneur » mais ne fit un hommage public  « au bienfaiteur de la commune » que le 7 septembre 2006 en faisant inaugurer la plaque commémorative avec son buste en médaillon de la place qui porte son nom non loin de l’église anglicane Saint Michael, par le prince Edward, duc d’Édimbourg, dernier enfant de la reine Élisabeth II.

Olivier Vernier


[1] Voir Marc Boyer, L’invention de la Côte d’Azur : l’hiver dans le Midi, La Tour-d’Aigues, Ed .de l’Aube, 2001, 378 p.

SM le prince Arthur William Patrick Albert, duc de Connaught et de Strathearn
Plaque mémorielle Place duc de Connaught

Les plumes sociales: L’affaire des vivants

L’affaire des vivants, Christian Chavassieux, Paris, J’ai Lu, 2023, pp. 213-215.

«… Il est un Feigne-Persan, de ceux qui répondent à la crainte respectueuse par une inclinaison du menton. Alma (la mère d’Ernest) lui a expliqué que cela impliquait des devoirs, notamment celui d’être bon avec les indigents. Comme tout est ordonné dans ce monde. Il y a un temps pour faire la démonstration de a bonté. Le jour de charité hebdomadaire est pour le petit Ernest une torture. Il en comprend la fonction tardivement, pendant ses études. L’utilité de ce rituel n’est pas où il l’avait perçue d’abord, pas dans le soutien aux pauvres : elle est tournée vers ceux qui donnent. Ce machiavélisme le réjouit et l’amuse. Mais enfant, alors que ses mollets frémissent dans le froid, sous la coupe de ses culottes courtes, il déteste le défilé du mercredi, la file de miséreux puants et stupides, édentés, sales, voûtés, qui tendent leurs mains pour une obole ou un morceau de pain. Les rôles sont distribués et Alma lui a appris à tenir correctement le sien. Tandis que Marie (une perle embauchée par Alma, Jacotte restant au service d’Hortense) veille à ce qu’aucun pouilleux ne cherche à resquiller, sa mère, au seuil de la porte, dépose une pièce dans la main du «brave» qui se présente et Ernest donne la nourriture, pain et soupe, enrichis, vers Noël, d’une brioche ou d’une pâtisserie qu’Alma s’est donné la peine de faire faire à Marie. Ailleurs, dans la ville, on recense des files semblables devant les autres maisons bourgeoises. Chaque famille de notables a pareillement fait attendre ses pauvres, de façon à ce que la queue soit aussi longue que possible. La longueur des files permet de mesurer la générosité des familles, et ainsi, de hiérarchiser les fortunes. La populace attribue alors son rang parmi les bienfaiteurs. Ce qui a toujours surpris Ernest, c’est la complaisance de tous face à cette comédie, pourtant manifestement odieuse. La naïveté avec laquelle le rituel est admis et encouragé le laisse abasourdi. Il saisit là les arcanes d’une société pour laquelle il aura du dégoût, mais un dégoût supportable. La révolte est pour ceux qui ont l’âme complète. Il semble à Ernest que le seul être qui n’est pas dupe de cette farce est son père. Il n’est jamais là le mercredi, soupire quand Alma lui parle se de ses préparatifs, et ne rentre pas avant que, le soir, tombé, tous les pauvres aient débarrassé le trottoir devant la maison. Plusieurs fois dans les conversations des domestiques, le jeune Ernest a cru comprendre que la famille Persant -les bouseux de Saint-Elme ou certains de ses oncle en tout cas- a autrefois bénéficié de l’aumône des bourgeois, mais on se taisait à son approche, et il a vite perçu que le sujet était déplacé. »

Vaste saga historique et familiale, L’Affaire des vivants, premier roman de Christian Chavassieux est aussi le portrait épique d’un pays au carrefour de la mutation de son histoire sociale. Son héros Charlemagne, force de la nature fera des sillons maigres de la terre du Forez entre 1850-1918 une terre industrielle de la passementerie. Cette histoire est aussi une radiographie de la condition ouvrière d’alors, écrasée par la bourgeoisie des industriels avides de profit, Charlemagne Persant aurait pu être un personnage des Rougon-Macquart ou de la Comédie humaine un Rastignac des tissus, enfant de la République (la Troisième) mû par l’ambition et par la fascination qu’il exerce. Pour la mise en scène cynique de la charité au domicile du bienfaiteur –et non portée au domicile des pauvres-, l’auteur s’est inspiré de l’ouvrage d’Antoine Sylvère, Toinou : le cri d’un enfant auvergnat, Paris, Plon, 1980. Cette charité ostentatoire se retrouve dans notre région à Cannes, Digne ou Apt…

Olivier Vernier

Les plumes sociales : L’affaire des vivants, Christian Chavassieux, Paris, J’ai Lu, 2023