Médaille du Centre National de Prévention et de Protection

            Devant les dangers professionnels (sécurité incendie au travail et explosions) dûs à de nombreux sinistres (feux, stockages de produits inflammables ou toxiques) qui atteignent, souvent mortellement les hommes et les activités, dans les entreprises à l’époque de la reconstruction du pays est créée en 1956, sous forme d’association loi 1901, le Centre National de Prévention et de protection (CNPP Association) en association avec le département formation, le laboratoire du feu et le département information à Champs sur Marne (77). Il regroupe les activités d’intérêt général ainsi que les fonctions supports de CNPP Groupe. La majorité des membres de l’association sont dès l’origine, des entreprises d’assurances, adhérentes de la Fédération Française de l’Assurance (FFA). Le CNPP Entreprise est fondée en 1988 et le CNPP Cert. est créé en 2013.

            D’autres risques professionnels pour le personnel et l’environnement (risques chimiques) sont alors abordés et prévenus: en 1977, la laboratoire malveillance; en 1986, le laboratoire incendie est accrédité: en 1987: le laboratoire électronique de sécurité. L’Institut de gestions des risques est fondé en 1992. En 1999, les délégations régionales se développent. 

            Des compétitions entre les membres des équipes de sécurité incendie sont organisées dans toute la France comme à Marseille en 1979 et les participants reçoivent cette médaille commémorative à la facture stylisée, «Opérations points rouges» afin  « de faire comprendre, par l’exemple, l’importance de la sécurité incendie dans tous les milieux de travail; de susciter et renforcer l’esprit de prévention dans les entreprises; de promouvoir les moyens de défense contre l’incendie et surtout la formation indispensable de ceux qui, dans le cadre de leur activité journalière, auront à lutter contre ce fléau.»

Olivier Vernier


Médaille du Centre National de Prévention et de Protection, bronze, Marseille, 1979, collection privée

Un conflit aux conséquences sociales méconnues:
la guerre de 1870, Marseille, monument aux mobiles de 1870

            La triste période de pandémie que nous venons  toutes et tous de subir a occulté la célébration du cent cinquantième anniversaire de la guerre franco-prussienne de 1870. Mais militairement la France n’est pas prête, n’alignant que 250 000 hommes face aux 800 000 de l’alliance germano-prussienne. Certes les sanglants champs de bataille (pensons au poème Le Dormeur du Val d’Arthur Rimbaud: «il a deux trous rouges au côté droit»…) ont été bien loin de nos côtes et de nos montagnes mais on en trouve ici des traces mémorielles.

            En haut de La Canebière, le monument aux mobiles de 1870 est un des rares de notre région (avec, par exemple, une plaque dans la cour d’honneur de la mairie de Nice ou des monuments dans les cimetières élevés par le Souvenir Français) à célébrer les victimes de ces batailles qui se soldent par la défaite de Napoléon III à Sedan et la proclamation à Paris de la Troisième République bientôt présidée par un Marseillais, le «singulier M. Thiers»…. Ces mobiles étaient des réservistes départementaux (des soldats ayant déjà effectué leurs temps sous les drapeaux), c’est pour cela que le monument marseillais réunit les blasons des principales communes bas-rhodaniennes qui envoyèrent des effectifs pour résister à l’invasion du territoire. La France armée couronne le monument, elle porte un bonnet phrygien, un drapeau et une épée. Des allégories secondaires représentent Marseille, Aix, Arles et Tarascon et de nombreux autres personnages rappellent la guerre de 1870. Sur les faces latérales, figure la liste des batailles livrées. Après un concours en 1892,  le monument est dessiné par Gaudensi Allar et sculpté par Turcan et Roux. Il est inauguré  le 25 mars 1894.

            La défaite amènera le 4 septembre la proclamation de la République. Ces événements se poursuivront dans le «rêve» de la Commune de Paris (mais n’oublions pas celui de la Commune de Marseille animée par Gaston Crémieux[1]) et leur programme social interrompu dans le sang, anticipateur pourtant des réformes du XXe siècle : de la séparation des Églises et de l’Etat, de l’égalité entre les hommes et les femmes, de la laïcisation de l’école ou de l’assistance médicale gratuite et de l’aide sociale…     

Olivier Vernier


[1] Analysé dès 1946 par Antoine Olivesi (1924-2009), La commune de 1871 à Marseille et ses origines, Marseille, rep. ,Lafitte, 2001, 168 p. et Roger Vignaud, Gaston Crémieux : la Commune de Marseille , un rêve inachevé, Aix, Edisud, 2003, 286 p.

Diplôme du Comité départemental des œuvres de Guerre

            On connaît bien la « ferveur patriotique » pendant la Grande guerre qui s’empara pendant quatre années de l’ensemble du pays, avec de nombreuses Journées patriotiques en faveur des soldats au front, des blessés de guerre, des prisonniers internés outre Rhin, des populations civiles éprouvées, des réfugiés étrangers (belges, luxembourgeois..) et des populations déplacées. Les pouvoirs publics et les associations patriotiques (Le Secours nationalLe Souvenir français..) et les mouvements caritatifs organisent des quêtes sur la voie publique, avec ventes d’insignes en carton voir métalliques, pour orner les boutonnières (du bleuet au coq gaulois, de l’Alsacienne à la Croix de Lorraine)[1], il n’en est pas de même lors de la « drôle de guerre » en 1939-1940.

            Pour éviter tout risque de malversations, des instructions du ministre de l‘Intérieur Albert Sarraut le 4 mai 1932 précisent les cadres d’action dans l’entre deux-guerres des sollicitations à la générosité publique[2]. Des instructions et des documents utiles pour renseigner les organisateurs des journées sont établis en 1938. Ainsi dans l’ensemble des villes de notre région des journées nationales de la Croix-Rouge pour les nombreuses détresses mais aussi, en faveur des artistes et de leurs familles (les chômeurs intellectuels) sont organisées (Journée des artistes (1933) ; Le Noël des enfants des chômeurs (1934-1935) ; la « préservation » (à la fois matérielle et morale) des jeunes filles est promue par Les Amies du Foyer, pour la protection de la jeune fille (1934-1935, 1939), par l‘Oeuvre des gares et ports à Marseille, Nice ou Toulon 1933 ; La Journée de la Vieillesse (1937) sollicite les Vauclusiens, les Hauts-Alpins ou les Bas-Alpins. On sait que Marseille est « la plus grande ville corse » en raison de l’émigration insulaire, aussi La Maison corse de Marseille initie une journée en faveur des victimes de la tourmente qui a ravagé une partie de l’île (1934). Même si les populations espagnoles et des enfants réfugiés en France sont moins nombreuses sous nos cieux que dans le Sud-Ouest, l’Union des jeunes filles de France organisent des actions publiques d’entraide (1937-1938). 

            Plus rares donc qu’en 1914-1918, des ventes d’insignes patriotiques et des quêtes sont, dans l’éventualité des combats proches, organisées par la troisième République « finissante », par le préfet Paul Bouët (1878-1970) pendant l’été 1939 ; des diplômes (promouvant l’union franco-britannique) sont remis aux quêteurs, ainsi ce jeune élève du lycée de Marseille « qui a fait preuve de dévouement patriotique en recueillant des fonds destinés aux Œuvres de Guerre du Département des Bouches-du-Rhône ». L’implacable régime de Vichy saura instrumenter au travers du Secours National la solidarité nationale[3]

Olivier Vernier


[1] Voir Michel Bonneau, Les Vignettes patriotiques françaises, Ablon, L’Arc en ciel, 1983, 250 f.

[2] Archives départementales des Bouches du Rhône, 4 M 597.

[3] Jean-Pierre Le Crom, Au secours, Maréchal ! L’instrumentalisation de l’humanitaire, 1940-1944, Paris, PUF, 2013, 343 p.


Diplôme du Comité départemental des œuvres de Guerre, Mouillot, Marseille, 1939 Collection privée

Quand la terre tremblait en Provence : Monument commémoratif aux victimes du tremblement de terre de 1909 à Lambesc (13)

Au centre du cimetière de Lambesc à 25kms d’Aix s’élève une colonne qui rappelle le séisme du 11 juin 1909 où la terre trembla en Provence, le plus fort séisme du XXe siècle[1] ressenti dans toute la Basse-Provence avec 6,2° sur l’échelle de Richter. L’épicentre en fut: Lambesc, Saint-Cannat. Cinq villages sont  détruits, plusieurs fortement endommagés (Venelles, Rognes, Lambesc, Pélissanne, Saint-Cannat, Salon, Vernègues)… A Lambesc, on compte 14 morts, 12 blessés graves. Cinquante constructions sont détruites et 600 endommagées. 1500 constructions sont déclarées à démolir ou nécessitant des travaux très importants. Pour les Bouches-du-Rhône, on déplore  en tout 46 morts, et 250 blessés. Les solidarités locale, départementale et régionale se manifestent alors. Des souscriptions en faveur des victimes et de leurs familles sont lancées dans tout l’espace méridional. Une convention entre le Crédit foncier et l’Etat fut signée pour apporter des aides à la reconstruction.

Olivier Vernier

Monument commémoratif aux victimes du tremblement de terre de 1909 à Lambesc (13) Photo Olivier Vernier

[1] Voir Estelle Bonet-Vidal, Séismes en Provence : du tremblement de terre de Lambesc de 1909 à la Provence sismique d’aujourd’hui, Sophia Antipolis, Campaniles, 2009, 95 p.

Diplôme de donneur de sang bénévole, Nice (Alpes-Maritimes), 1965

            Dans l’immédiate après-guerre, en raison des problèmes sanitaires et sociaux qui demeurent, un arrêté du 11 février 1950 porte création un diplôme spécial de donneur de sang pour encourager la transfusion sanguine bénévole et reconnaître la solidarité. Il sera modifié par les arrêtés du 20 juin 1961, du 3 juillet 1979 et du 12 janvier 1981. L’insigne de boutonnière « SOS Sang » « pour sauver des vies humaines » en métal émaillé gravé par l’héraldiste Robert Louis qui figure sur le diplôme est fabriqué par la maison Arthus Bertrand à Paris et le diplôme signé par le ministre en charge de la Santé publique et de la Population est remis par les préfets lors de cérémonies publiques relayées souvent par la presse.

                  En 2002,  ministre de la Santé, Bernard Kouchner modifiera les conditions d’attribution en prévoyant 7 niveaux de dons (de 3 à + de 200 dons), les diplômes sont décernés désormais par les Établissements français du sang mais reconnaissons que l’on rencontre dans les rues de moins en moins de concitoyens portant cet insigne symbole d’altruisme.

Olivier Vernier

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Diplôme de donneur de sang, 1965, Collection privée, Photo René Charvin

Coffre de charité dit aussi «grenier d’abondance»
Ristolas (Hautes-Alpes), 1706

Installé dans l’église paroissiale (sont encore visibles les traces des cierges l’entourant), ce coffre présente en façade la mention Charitas (Charité) et sur le couvercle, les mots « seigle », « orge » et « avoine » entoure les trappes à glissières. Symbole de l’entraide, Il était destiné à recevoir les offrandes en nature pour permettre aux plus précaires de la paroisse d’ensemencer leurs terres et de pouvoir survivre.

Coffre de charité dit aussi « grenier d’abondance », Ristolas (Hautes-Alpes), 1706, Musée Dauphinois, Grenoble, Photo O.Vernier

                  Il est lié aux monts frumentaires qui prêtaient gratuitement des céréales en Provence.

Olivier Vernier

Un impôt social oublié : « le droit des pauvres » aux XIX° et XX° siècles : série de timbres fiscaux semi-privés français (1903)

Les impôts à l’époque contemporaine prêtent rarement à sourire, encore que[1]. Mais les dénominations peuvent parfois prêter à confusion. Tel est le cas de celui dénommé parfois «taxe sur les pauvres»[2] qui n’est pas perçue -et pour cause- à leur encontre mais à leur profit! On parlera plus volontiers de «droit des pauvres» même si on est encore bien loin de la reconnaissance des droits sociaux,  toujours discutée par la doctrine contemporaine[3].

            Instaurée au Moyen-âge dans certaines communes, en particulier septentrionales (Abbeville, Paris avec le Grand bureau des pauvres de la ville et faubourgs) après la constitution du puissant mouvement urbain ayant pour finalité de dégager les villes du carcan féodal, d’abord, la taxe des pauvres  alimente les premiers budgets municipaux d’assistance[4]. Elle est affinée aux XVIIe et XVIIIe siècles. Mais elle avait parallèlement pris une autre connotation: au début du XVe siècle, une ordonnance de Charles VII en 1407 associe les malheureux aux bénéfices des représentations théâtrales à Paris[5] en autorisant des quêtes volontaires. Puis au XVIe siècle, les entrepreneurs de jeux et mystères de l’Ancien testament dont la Passion du Christ abonderont obligatoirement cette taxe sociale. Ce n’est qu’au XVIIIe siècle, à l’instar d’autres nations européennes[6] qu’une législation d’ensemble institue au profit des pauvres un droit fixe proportionnel (1/6eme) aux prix d’entrée dans les spectacles. Cette perception donne lieu à des difficultés telles que le pouvoir doit placer à l’entrée des lieux de loisirs des agents des administrations hospitalières…L’impôt devient très impopulaire dans les catégories supérieures et il fut «abonné», c’est-à-dire que son montant est forfaitairement perçu. Mais dans le Midi, en particulier dans la Provence à l’économie «contrastée», les activités théâtrales et musicales sont alors bien estompées[7].

            Paradoxalement, la Révolution qui, on le sait[8], n’a pas à l’origine, de véritable vocation philanthropique, supprime le 13 janvier 1791 la taxe à la grande satisfaction des entrepreneurs de spectacles qui toutefois se voient en l’an IV (1795) contraints à donner une représentation dont les bénéfices nets sont versés à la caisse des hospices. Sous le Directoire, en l’an V, en raison de la précarité accrue, une augmentation de 10% sur le prix des billets d’entrée de tous les spectacles «sur l’ensemble du territoire de la République» est décidée par la loi du 7 frimaire (27 novembre 1796) «pour secourir les indigents qui ne sont pas dans les hospices». Le régime napoléonien conforte l’impôt par le décret impérial du 9 décembre 1809 : le droit des pauvres devient permanent et définitif[9]. Il va se complexifier. Les établissements communaux d’assistance (bureaux de bienfaisance, hôpitaux, hospices puis à compter de 1893, les bureaux d’assistance médicale gratuite) en sont bénéficiaires. Dans notre région méridionale: les villes de Nice, Aix, Marseille, Avignon, Draguignan ou Toulon sont concernées. En 1840 et 1875, la réglementation par des lois de finances est complétée pour les concerts quotidiens (à l’intention des hivernants) et non quotidiens. Enfin, à la suite de la Grande Guerre, en 1920 et 1921, une taxe d’Etat (25% en sus du prix d’entrée) est instaurée, les spectacles cinématographiques, un art «diffusé en public» à La Ciotat, sont concernés. Tous les spectacles publics très prisés dans notre région sont alors touchés: des courses de taureaux aux dancings, des cafés-concerts des fêtes foraines aux tirs aux pigeons, du music-hall marseillais de l’Alhambra aux opéras municipaux d’Avignon, de Toulon et de Nice, des patronages dignois aux pastorales marseillaises. Les appareils automatiques ne sont pas oubliés: orchestres mécaniques, phonographes, vues, même les jeux de force… au point qu’en 1926 une codification de la législation en matière de contributions indirectes devient nécessaire et l’assiette de l’impôt est uniformisée, le nouveau dispositif est édicté sous peine d’amendes et de fermetures d’établissement. 

Pour ne pas léser les indigents dans cette période  de reconstruction économique d’après-guerre où leur nombre s’est accru, les entrées gratuites sont taxées au même titre que les entrées payantes et les entrées à prix réduit sont aussi logiquement concernées. Mais une troisième taxe est instaurée: les municipalités sont libres de créer ou non une taxe sur les spectacles, elles le font volontiers pour nos villes dotées de salles de spectacles et sa quotité est fixée par le conseil municipal et approuvée par l’autorité préfectorale. Même dans certains bals, une rétribution modeste est demandée. On en vient à taxer toutes les recettes réalisées dans l’établissement: vestiaire, lavabo, téléphone, vente de programmes, location ou vente de tous objets. Les bals de société organisés occasionnellement par les sociétés locales depuis les Excursionnistes marseillais jusqu’aux cercles varois et aux mutuelles niçoises, les bals forains fréquents lors des fêtes patronales, tous ces éléments de la sociabilité méridionale chers à Pierre Chabert[10], sont taxés en faveur des pauvres, de même pour les banquets suivis de bals tandis que les cafés avec orchestre à Nice, à Cannes ou Draguignan sans prix d’entrée y échappent logiquement. Les cabarets d’auteur dans lesquels les artistes déclament ou chantent leurs œuvres, parfois en langue régionale «tolérée» (provençal, niçois, gavouot – l’Alpin de la région Provence-Alpes-) ont des taxes réduites. N’oublions pourtant pas l’implacable combat de la Troisième République contre le régionalisme culturel[11]. En revanche, les représentations à bénéfice données au profit « d’artistes âgés ou malheureux », de leurs veuves et enfants, en une époque où le monde artistique de la province n’a pas la chance de bénéficier de l’hospice de Ris-Orangis en région parisienne pour les «vieux artistes». Quant aux sports modernes (billard ou boxes), ils obéissent à un régime spécial tandis que les concours hippique spectacles payants  à Marseille comme à Nice, ils sont soustraits au paiement de la taxe d’Etat car ils contribuent «à l’amélioration de la race chevaline», les lobbies sont alors puissants alors que des sports mondains comme le golf sont taxés à Mandelieu-La Napoule. Quant au tennis, les nombreuses sociétés constituées à Nice, Cannes ou au cap d’Antibes louant leurs courts sans les réserver à leurs membres, elles doivent payer l’impôt social. Les sports populaires (boxe, lutte..) sont néanmoins taxés à un taux moindre.

L’accès à la culture n’est pas alors populaire[12]: les musées sont ainsi, à Gap, Marseille, Toulon, Fréjus, Nice, Menton soumis à l’impôt sur le prix d’entrée de même pour  les visites guidées de monuments historiques. Dans les villes sans taxe municipale spécifique, le nouveau spectacle populaire et enchanteur qu’est le cinéma dont on connaît les talents et les palettes dans notre région[13], il suffit de songer au rôle élégiaque d’un Marcel Pagnol[14] (Joffroy(1933), Angèle (1934), Regain (1937), Nais (1945) et à celui cynique, d’un Jean Vigo (A propos de Nice (1930)[15] est taxé à 10% de droit des pauvres sur les recettes mensuelles. A l’autre extrémité du spectre des loisirs de luxe: les thés-concerts «établissements de luxe, fréquentés dès le milieu de l’après-midi, par une clientèle oisive»[16] et les soupers-concerts même pour les réveillons de fin d’année pris à la sortie des salles de spectacles sont taxés. On retrouve là le cadre dramatique d’un «poème social»[17].

            Pour contrôler le nombre d’entrées, l’Administration fiscale exige qu’aucun spectateur ne pénètre dans l’établissement sans être muni d’un billet extrait «d’un carnet à souches numérotés en série continue». Un régime des exonérations est limitativement prévu: les établissements publics, bureaux de bienfaisance, hôpitaux, offices des pupilles de la Nation, les œuvres reconnues d’utilité publique ayant un caractère de bienfaisance, les sociétés de secours mutuels d’utilité publique ou approuvées, les œuvres de guerre, les fédérations et sociétés sportives, les associations d’anciens combattants, les associations d’éducation populaire, toutes et tous ayant déjà un but social et d’entraide, cependant seules représentations données au profit exclusif d’œuvres exonérées; seules les représentations «exceptionnelles  et accidentelles (sic)» sont concernées. Quant aux représentations de gala organisées dans un but de bienfaisance, songeons au Bal des petits lits blancs «décentralisé» à Cannes, elles ne bénéficient que d’une seule réduction tandis que les ventes de charité nombreuses dans l’entre-deux-guerres ne sont pas soumises à l’impôt sauf si bien sûr, un divertissement les accompagne.

            Les quittances délivrées pour perception de l’impôt en numéraires sont soumises à l’apposition d’un timbre fiscal spécial car semi-privé puisqu’émis par les organismes professionnels du spectacle, tel qu’il apparaît dans le document iconographique joint, décliné en 10 valeurs de 5c à 1,50 f. Est figurée une allégorie à l’antique des arts du spectacle versant son obole dans «l’urne des pauvres», avec la mention «un décime par franc en sus du prix de chaque billet. Loi du 7 frimaire an VI». En 1924, ce droit de timbre est dispensé, modernisme oblige, pour les paiements par voie de chèque.

            Cette fiscalité originale traduit une vision sociétale où les plaisirs et les loisirs des uns plus aisés peuvent contribuer à soulager ou réduire les affres économiques de ceux moins favorisés par le sort. C’est la fin d’un monde. Son avant  dernier avatar sera sous le régime de Vichy qui lui substitue un impôt sur les spectacles jeux et divertissements au profit des communes[18]. En 1947 cet impôt relève désormais des contributions indirectes.

Olivier Vernier


[1] Code Général des impôts directs et taxes assimilées texte intégral des lois, décrets, décrets-lois, décret de codification, suivi d’un formulaire administratif. Illustré par Joseph Hémard, Paris, Editions littéraires et artistiques : le Triptyque, 1944, 331 p.

[2] Voir O.Vernier, « Le droit des pauvres », Michel Laroque (dir.), Contribution à l’histoire financière de la Sécurité sociale, Paris, La Documentation Française, 1999, p. 156-157.

[3] On pense naturellement à Robert Castel (1933-2013), L’insécurité sociale : qu’est-ce qu’être protégé ? , Paris, Seuil, 2003, 95 p.

[4] Marcel Fossoyeux, « La taxe des pauvres au XVIe siècle : les premiers budgets municipaux d’assistance », Revue d’histoire de l’église de France, tome XX, juillet-septembre 1934, 28 p.

[5] Georges Pillu et Henri Béchet, Les impôts sur les spectacles : droit des pauvres, taxes d’Etat, taxe municipale, Paris, Dalloz, 1928, 263 p.

[6] Gabriel Cros-Mayrevieille, Le droit des pauvres sur les spectacles en Europe : origine, législation, jurisprudence, Paris, Berger-Levrault, 1889, 208 p.

[7] Sur les spectacles en Provence : Jahiel Ruffier-Meray-Coucourde, Les institutions théâtrales et lyriques  en Provence et leurs rapports avec les théâtres privilégiés de Paris sous l’Ancien régime et pendant la Révolution, thèse, Droit, Aix-Marseille 3, 2009, 990 f.

[8] Alan Forrest, La Révolution  française et les pauvres, Paris, Perrin, 1986, 283 p.

[9] Voir Jérôme Renaud et Sylvain Riquier, Le spectacle à l’impôt : inventaire des archives du droit des pauvres à Paris, début XIXe siècle- 1947, Vélizy, Doin,  coll. Histoire des hôpitaux, 1997, 125 p.

[10]Pierre Jean Chabert, Les cercles, une sociabilité en Provence, Aix, Publications de l’Université de Provence, 2006, 279 p.

[11] Paul Sérant, La France des minorités, Paris, Laffont, 1965, 411 p. et Georg Kremnitz (dir.), Histoire sociale des  langues de France,Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013, 906 p. A contrario : Anne-Marie Thiesse, Écrire la France : le mouvement littérairerégionaliste de langue française entre la Belle Époque et la Libération, Paris, PUF, 1991, 314 p.

[12] Sandrine Faraut Ruelle, Les musées en province de la Révolution à la Libération (1789-1945) : l’exemple du Sud-Est et de la Corse, Thèse, droit, Nice, 2015, 532 f.

[13]  François Morénas, Le cinéma ambulant en Provence, Lyon, Presses universitaires de Lyon, 1981, 210 p. ; Daniel Armogathe et Pierre Echinard, Marseille, port du 7e art, Marseille, Laffitte, 1995, 175 p. ; René Prédal, 60 ans de cinéma : Nice et le septième art, Nice, Serre, 1981, 156 p.

[14] Marion Brun, Marcel Pagnol, classique-populaire : réflexions sur les valeurs d’une oeuvre intermédiaire, Paris, Garnier, 2019, 836 p.

[15] Thierry Guilabert, Jean Vigo libertaire : « A propos de Nice », Saint-Georges d’Oléron, Les Editions libertaires, 2018, 167 p.

[16] Georges Pillu et Henri Béchet, op. cit. , p. 342.

[17] Traduite de façon émouvante par le poème  « La Charlotte » publié par Jehan Rictus (1867-1933) dans Les soliloques du pauvre, 1897 et interprétée par Marie Dubas vers 1930 sous le titre La prière de la Charlotte

[18] Voir Morgane Roffé, Le droit et la police des jeux de hasard dans les Alpes-Maritimes aux XIXe et XXe siècles (1800-1954), Thèse, droit, Nice, 2017.


Série de timbres fiscaux semi-privés français (1903) Olivier Vernier Collection privée

Loimos, Pestis, Peste

LES ACTES NUMÉRIQUES SONT EN LIGNE !  

Programmé en amont de la Covid-19 pour commémorer le tricentenaire de la peste de 1720 à Marseille, ce colloque donne une occasion unique de réfléchir sur les fléaux épidémiques au moment même où nos sociétés en font l’expérience. Il a réuni historiens, archéologues, anthropologues, historiens de l’art, philologues, biologistes, épidémiologistes, géographes et philosophes.

Les musées de Marseille et les laboratoires de recherche d’Aix-Marseille Université unissent leurs forces pour le partage des savoirs !

➤ Programme, résumés, vidéos de chacune des communications, tout est accessible ici 

Et sur la chaîne YouTube des musées de Marseille ➤ playlist dédiée 

Médaille commémorative du trentième anniversaire de la création du réseau des caisses de congés payés des secteurs du bâtiment et des travaux publics

A la suite de la victoire du Front populaire, un droit social nouveau est élaboré. Les congés payés sont négociés le 7 juin 1936 par la signature des accords de Matignon entre le nouveau Président du conseil, Léon Blum, la Confédération générale du patronat français et la Confédération générale du travail. Le Journal Officiel du 20 juin 1936 publie la loi instituant 15 jours de congés payés annuels[1] (et la semaine de 40 heures). Cette année-là, 600 000 personnes partent en vacances. Léo Lagrange, sous-secrétaire d’Etat aux Sports et à l’Organisation des loisirs auprès du ministre de la Santé publique, négocie un billet populaire de chemin de fer congés annuel à tarif réduit dont 907 000 personnes bénéficient en 1937. Cette même loi prévoyait la constitution de caisses de compensation entre les employeurs dans certaines professions désignées par décret dont le puissant secteur du bâtiment et des travaux publics qui réunit des entreprises très différentes à effectif variable en fonction des chantiers et des saisons. Aussi les bases du régime spécial des congés payés dans le bâtiment et les travaux publics sont fixées par le décret du 18 janvier 1937 et l’arrêté du 8 mars 1937. Les caisses du réseau national et la caisse de surcompensation sont créées entre 1937 et 1947, elles gèrent le chômage-intempéries et les congés payés.

            Pour célébrer le trentenaire de leur création, le réseau des caisses de BTP fait appel à une sculptrice et médailleuse  moderne, rouennaise, spécialisée dans les «médailles sociales» dont la médaille officielle d’ancienneté frappée sous l’égide du ministère du Travail, pour la Caisse nationale de prévoyance (1975) pour récompenser les salarié-e-s. A l’avers est représentée une scène de chantiers de construction assurément très contemporaine mais au revers trois jeunes gens salariés découvrent, comme trente ans auparavant  leurs prédécesseurs des paysages de montagne et des paysages maritimes « intemporels » qui évoquent nos montagnes (Hautes-Alpes, Alpes-Maritimes) et nos littoraux bas rhodaniens, varois et alpins-maritimiens[2] contemplés pour la première fois par les salariés en congés en 1936.

            L’année suivante la crise sociale du mois de mai 1968 cristallisera les revendications face à une  société que d’aucuns considéreront comme «figé».

Olivier Vernier


[1] André Hut (dir.), Congés payés 36 : histoire et idéologies : actes du colloque organisé à Bruxelles le 29 novembre 1986 par le mouvement Culture-Tourisme-Loisirs, CTL, Bruxelles, Reflet, 1991, 126 p.

[2] Analysés de manière cynique et anticipée par le cinéaste Jean Vigo, A propos de Nice (1929).